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novembre 2014

1.3. Lien Enseignement supérieur et Recherche

Pour comprendre

Le rapport entre l’Enseignement supérieur et la Recherche se situe à plusieurs niveaux, qui sont aujourd’hui autant de lieux de tension. L’Enseignement supérieur est caractérisé par l’adossement de l’enseignement à la recherche : c’est une formation à la recherche, par la recherche. En irriguant tout le territoire, en s’ouvrant au plus grand nombre possible de citoyens, en formant les professionnels dont notre société a besoin et en diffusant le plus largement possible les résultats de la recherche, l’ESR contribue donc au développement du front des connaissances de la même façon qu’il nourrit l’activité économique, sociale et culturelle du pays. Aujourd’hui, après avoir fait le choix de la désindustrialisation et parié sur l’émergence d’un marché de la connaissance où les pays de l’UE seraient parmi les principaux producteurs et fournisseurs, on voudrait que l’ESR public soit entièrement tourné vers l’innovation dont ont besoin les entreprises pour accroître leur compétitivité et faire face à la concurrence mondiale.

1.3.1. La politique de l’innovation

Le maître mot autour duquel les orientations majeures de la loi LRU-Fioraso se sont construites, c’est l’innovation. La société voudrait trouver dans son système d’enseignement supérieur et de recherche une ressource pour dynamiser sa créativité, sa capacité à innover et à employer les jeunes générations : l’enseignement supérieur serait ainsi le lieu où l’on viendrait apprendre à être innovant, grâce au contact avec la recherche pour laquelle ce serait désormais la préoccupation principale. C’est le fameux modèle de l’essaimage, dont le modèle est Stanford, une université devenue pépinière d’entreprises innovantes comme Google.

L’innovation constitue un mode de fonctionnement du capitalisme actuellement, qui, le plus souvent, n’est pas porteur de développement industriel ni social. Le modèle de « l’essaimage » est lui aussi très discutable : qu’on se souvienne de la bulle spéculative autour des start-up au début des années 2000. S’il apparaît souhaitable que la société en général et l’industrie en particulier profitent rapidement des résultats de la recherche, « l’innovation », telle qu’elle est conçue et mise en place par le patronat, ne peut constituer l’objectif premier de l’enseignement supérieur et de la recherche publics.

Or un tel objectif suppose un fort investissement dans le système d’enseignement supérieur et de recherche. Mais la France connaît plusieurs types d’obstacles structurels de ce point de vue : elle investit moins que la moyenne des pays de l’OCDE et son investissement n’est pas le même dans les deux filières qui font la particularité du système d’ESR de notre pays : les classes préparatoires et les écoles d’ingénieur. D’un côté, on concentre davantage de moyens sur un petit nombre d’élèves auxquels on dispense un enseignement qui n’est pas associé à la recherche, de l’autre côté, l’Université, moins bien dotée, a la particularité en France de ne pratiquement pas former d’ingénieurs. La cohabitation de ces deux systèmes hérités de l’histoire de notre pays favorise des politiques de désinvestissement des parties du système qui ne concernent pas les classes favorisées et empêche que soient formés à la recherche les futurs professionnels dont la vocation est de porter l’innovation au sein mêmes des entreprises. Le fait que l’enseignement supérieur « d’élite » soit en France coupé de la recherche, qui se fait soit dans les organismes où l’on n’enseigne pas, soit à l’Université où l’on ne forme pas d’ingénieurs, est un frein majeur en vue de l’objectif pourtant annoncé de favoriser l’innovation. En effet, s’il tel avait été le cas, une remise à plat de notre système, allant vers une meilleure articulation de ces deux systèmes, aurait pu favoriser à la fois la démocratisation de l’ESR et la recherche de la capacité d’innovation des entreprises.

Or, il n’en est rien. Les dernières réformes conduisent à mettre l’ESR au service de l’industrie privée. Avec un État quasi-démissionnaire pour ce qui est du financement de la recherche, ce sont les différents groupes industriels qui financent les laboratoires publics susceptibles de porter des applications industrielles. Ils ont donc une mainmise quasi-totale sur les activités des laboratoires. Les thèmes développés relèvent de plus en plus du développement industriel et non de la recherche scientifique. On note une tendance, non systématique mais réelle, de transformation de nombreux laboratoires de recherche en bureaux de conseil pour les entreprises privées. Au total, les groupes tendent à externaliser le risque de la recherche vers le service public, pour tirer profit des innovations devenues rentable.

La seule solution serait de retrouver un financement largement public de la recherche scientifique et technique et une volonté politique de faire bénéficier la société des avancements de la science.

1.3.2. La régionalisation conjointe de la recherche et de l’enseignement

La carte de l’enseignement supérieur et celle de la recherche viennent d’entrer dans une nouvelle synergie. Si l’autonomie dévolue par la loi LRU-Pécresse a doté les établissements d’une nouvelle direction fondée sur un projet entreprenarial, et favorisé des regroupements locaux sous la forme des PRES, elle n’avait pas ouvert les CA aux collectivités territoriales et favorisé l’émergence d’un schéma régional de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ce que fait la loi LRU-Fioraso qui poursuit le processus d’éclatement du service public national d’ESR et lui donne un cadre régional. Les régions n’ont néanmoins pas la capacité de se substituer au désengagement de l’État : on leur confère la responsabilité d’accélérer les regroupements d’établissements en faisant émerger de grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche (une trentaine sont attendus, en lieu et place des 82 universités d’aujourd’hui, soit un par région en général, sauf pour l’Île-de-France) et de favoriser le rapprochement entre l’ESR et le tissu des PME et PMI qui souffrent en France d’un investissement R&D insuffisant. Dans le même temps, les conseils régionaux ont entrepris de fusionner leurs services enseignement supérieur et innovation et industrie pour accompagner cette évolution (ainsi l’Alsace début 2013). Les régions, loin de pouvoir se substituer à l’État pour maintenir en l’état un système offrant la même palette de formations et de recherche en chaque point du territoire, sont appelées au contraire à favoriser la spécialisation régionale autour des points forts de l’économie locale, conformément à la doctrine européenne de la « spécialisation intelligente » (SMART spécialisation) – seule façon de trouver de nouvelles ressources, venues du privé, pour financer une partie de l’ESR local. Cette spécialisation de l’économie régionale est appelée à s’imposer à la recherche dans la même région, et, par conséquent, à l’enseignement supérieur qui y est adossé.

C’est bien d’un assujettissement de l’ESR aux besoins immédiats de l’économie locale, de l’industrie et du patronat locaux, qu’il s’agit.

Pour gagner de nouveaux droits

Ce que la FERC SUP CGT revendique : La recherche au service de tous, sur tout le territoire.

Il ne faut pas confondre régionalisation et développement régional. Le développement régional trouvera un appui d’autant plus fort auprès de son université et de ses organismes que ceux-ci seront maintenus dans leur égale qualité sur tout le territoire, fondée sur leurs statuts nationaux.

Il faut maintenir la qualité et l’indépendance d’un service public doté d’un maillage territorial fort, capable de combattre les inégalités entre territoires, et donnant à tous les citoyens la même chance d’accéder à un enseignement supérieur et à une recherche de qualité. Des personnels aux statuts garantis, issus d’un recrutement national assurant l’égalité de traitement des citoyens sur tout le territoire avec un service public de même qualité ; une offre d’enseignement supérieur complète, à Ajaccio comme à Brest, adossée à la recherche.

L’Université forme des femmes et des hommes qui doivent pouvoir devenir des citoyens et des travailleurs éclairés. Il est intéressant pour la société de continuer à augmenter le nombre de docteurs. En retour, il faut aussi développer la capacité des citoyens à solliciter directement leur service public d’enseignement et de recherche, qui doit pouvoir les informer sur l’état des choses, des ressources, de la société, d’une manière libre, indépendante des modes et des intérêts. La vulgarisation des résultats de la recherche, appropriable par le débat citoyen, doit être promue. Des nouveaux moyens pour le faire doivent être mis en place : les propositions de la FERC Sup sur le CNESER vont dans ce sens (voir fiche 1. 2).

Pour rétablir l’équilibre entre les deux systèmes d’enseignement supérieur de notre pays, favoriser la circulation entre eux, et donner accès au plus grand nombre à des formations technologiques supérieures dans des formations universitaires fondées sur la gratuité, il faut mettre fin à la disparité budgétaire entre les deux parcours et multiplier le nombre d’ingénieurs formés à l’Université.

La FERC Sup CGT met en débat

La dualité du système d’enseignement supérieur français, dont une partie, élitiste et malthusienne, est découplée de la recherche (les CPGE et les écoles de commerce et d’ingénieurs), et l’autre, en contact avec la recherche mais sous-dotée, est délétère. C’est une inégalité fondamentale entre citoyens (l’État dépense beaucoup plus pour les étudiants de l’un des côtés) et un obstacle majeur à la capacité du service d’enseignement supérieur d’irriguer véritablement la société.

La loi LRU-Fioraso entreprend un rapprochement de l’ensemble des formations au sein d’un schéma régional (et non national), mais avec l’objectif de poursuivre la politique d’excellence et de spécialisation accrue. L’ouverture de toutes les filières à tous, les allers-retours entre université et parcours d’ingénieurs ou parcours professionnels devrait se substituer à une logique qui entend plutôt créer des voies de sélection au sein de l’Université pour en extraire les « meilleurs éléments » et y rejeter les individus en échec dans les voies sélectives. Une telle logique est délétère pour l’ensemble du système, aussi bien pour les étudiants les moins favorisés, en échec à l’Université, que pour ceux que la séduction de la sélection a écarté d’un enseignement irrigué par la recherche.

La FERC Sup CGT se propose d’explorer une autre voie, en recherchant s’il est envisageable et possible d’inverser le principe de la sélection, c’est-à-dire non pas chercher à repérer le plus tôt possible les « excellents » pour les extraire de la masse, mais rechercher par tous les moyens à reconnaître et à venir en aide efficacement à tous ceux qui en ont besoin pour profiter pleinement de leurs études et de leur épanouissement dans la liberté de penser. La circulation ne doit pas aller que dans un seul sens, c’est-à-dire renvoyer à l’université ceux qui échouent dans les filières sélectives et priver de l’enseignement universitaire les éléments sélectionnés. Les filières aujourd’hui sélectives, dont certaines sont coupées de la recherche, mieux dotées, pourraient au contraire accueillir les étudiants en difficulté dans l’Université, avant de pouvoir revenir profiter pleinement d’un environnement de formation en contact avec la recherche.

Un tel lien renouvelé entre enseignement et recherche signifierait une nouvelle approche de la culture, ouvrant de nouveaux ponts entre théorie et pratique, arts, sciences et technologie. Pensons à l’inventivité et à l’humanité d’un pays où l’on pourrait devenir ingénieur en ayant aussi goûté à l’histoire de l’art, où l’on pourrait être professeur de philosophie en sachant réparer un moteur, et où un cadre commercial saurait aussi comment se fait l’épuisement des sols. À travers le dysfonctionnement de l’ensemble de notre système marqué par la sélection, ce sont des hiérarchies entre les parties de la culture humaine qui se révèlent, les préjugés à l’encontre de certains savoir-faire et la valorisation excessive d’autres compétences. Ces distorsions contribuent à créer une société fracturée.

L’université, remise au centre d’un système ouvert où l’on pourrait circuler plus librement pour trouver les moyens de son épanouissement, pourrait offrir son intelligence au développement, qui n’est pas seulement économique, mais aussi politique, social, environnemental et culturel.

Cet objectif supposerait d’ouvrir le débat de la propriété intellectuelle et des brevets, afin de se demander comment la recherche publique pourrait irriguer la société de façon optimale. Comment faire en sorte que la créativité des chercheurs soit au service de tous, dans tous les domaines de la vie sociale ? Quelle forme de publication et de propriété donner aux résultats de la recherche pour qu’ils servent le bien commun ? Ne faudrait-il pas se demander si ces résultats pourraient être sanctuarisés, de telle sorte qu’ils soient à la fois inappropriables et gratuitement disponibles à tous ? La FERC Sup s’engage à ouvrir la réflexion sur ces questions.


Référence électronique

"1.3. Lien Enseignement supérieur et Recherche", publié le 2 novembre 2014, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article45, consulté en ligne le 15 mars 2024


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