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septembre 2013

La laïcité fait sa rentrée : entre coup médiatique et coups tordus

Lundi 9 septembre 2013, le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, présente sa Charte de la laïcité à l’école.

Lundi 9 septembre, à grands renforts médiatiques, le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, accompagné par Robert Badinter, Lilian Thuram et Najat Vallaud-Belkacem, présente sa Charte de la laïcité à l’école. Elle devra être apposée bien en vue dans tous les établissements scolaires publics, et être expliquée aux élèves.

La Charte n’apporte rien de nouveau par rapport à la loi de 1905 et à la Constitution, mais elle rappelle opportunément quelques fondamentaux sur lesquels pourront s’appuyer les enseignants et les personnels : « La France (...) respecte toutes les croyances. (…) La République laïque organise la séparation des religions et de l’État.(…) La laïcité garantit la liberté de conscience de chacun (…) La laïcité (...) reconnaît l’égalité entre les filles et les garçons. (…) Aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. (…) Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question du programme (…) » Un élève contestant l’évolution des espèces, la rotondité de la terre ou la réalité de la Shoah se verra donc rappeler au règlement en vigueur. « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République. (…) Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » Peillon entend donc traiter les manifestations religieuses intempestives comme de simples manquements à la discipline, ce qui est le cas la plupart du temps.Ainsi, la Charte apparaît comme un règlement intérieur national et républicain de toute l’école publique.

Mais, comme l’écrit François Jarraud dans l’Expresso du 9 septembre, « les difficultés scolaires sont rarement solubles dans les règlements intérieurs. » Afficher une charte, même en couleurs, sur un panneau administratif déjà bien fourni, aux côtés du règlement intérieur de l’établissement, des circulaires et autres décrets, ne va pas résoudre les grandes questions du moment : les lacunes scolaires importantes, l’hétérogénéité des classes, les inégalités sociales, les fermetures de classe ou le manque d’infirmières ou les désarrois d’une seule conseillère d’orientation pour plusieurs établissements. La laïcité, condition de la liberté, et non une déferlante d’interdictions comme certains pourraient le penser, est-elle devenue réellement l’enjeu majeur de notre système éducatif, l’unique clé qui permettrait de résoudre à elle seule la résorption de l’échec scolaire, des inégalités sociales d’éducation, l’insuffisance des moyens et d’équipements de nos écoles ?

Les beaux principes affichés par la charte, s’ils ne sont pas accompagnés de réponses concrètes aux questionnements des enseignants confrontés à des situations quotidiennes pressantes, demeureront quoiqu’il en soit lettres mortes. Que faut-il dire à l’élève qui refuse de faire du sport en période de jeûne ? Quelle attitude adopter face à une interpellation sur un moment du cours ou sur un des contenus du programme ? Comment gérer la diversité des régimes alimentaires à la cantine ? Où commence et où finit le port ostensible d’appartenance religieuse ? Faute d’une véritable formation des enseignants et des personnels sur ces situations quotidiennes et « banales », les préconisations de la charte s’apparentent à des vœux « pieux » sans réelle portée et peuvent même apparaître comme une provocation inutile.

« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale » affirme le premier article de la Charte. Indivisible ? Quid du régime du Concordat toujours en vigueur dans trois départements français (Alsace et Moselle) ? Rappelons que l’enseignement religieux y est obligatoire dans les écoles publiques. Eric Sander, secrétaire général de l’Institut du Droit local, estime que « la charte – qui n’a pas de valeur juridique – ne remet nullement en cause le droit local des cultes et de l’enseignement religieux en Alsace-Moselle ». Rappelant que « la loi du 9 décembre 1905 n’est pas applicable en Alsace-Moselle », Eric Sander relève notamment que « l’article 11 de la charte précise que les personnels ont un devoir strict de neutralité » , à quoi il apporte ce commentaire : « C’est le principe de neutralité de l’agent public. Il ne s’applique pas aux enseignants assurant les cours de religion. » Quant à l’article 12, qui dispose que les enseignements sont laïques, il affirme que « c’est le cas en Alsace-Moselle, avec inapplication pour le cours de religion à l’école publique ».

Les 12.000 écoles privées, à 90% catholiques, et leur deux millions d’élèves, ne seront pas concernées non plus par la Charte laïque de Vincent Peillon. Le combat louable affiché par le ministre pour la laïcité au nom de la « république indivisible, laïque, démocratique et sociale » pourrait pourtant se concrétiser efficacement en faisant en sorte que cette «  république indivisible, laïque, etc. », cesse de subventionner l’école privée de 7 milliards par an et consacre ces sommes au développement de l’école publique et laïque. Vincent Peillon rappelle que « la laïcité n’est pas une arme mais un pacte ». Certes. Mais la loi Debré qui permet à l’État d’apporter une aide financière à l’école privée, laquelle, par des frais de scolarité exorbitants se livre à un tri sélectif des élèves et contourne la laïcité en constituant un véritable vivier pour l’intégrisme catholique, représente une formidable entorse à ce pacte.

En plein cœur de l’été, le Haut Comité à l’Intégration, relayé par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, relance l’idée de légiférer sur le voile islamique à l’université. La Libre Pensée, dans un communiqué le 12 août, dénonce une attaque en règle contre une « liberté démocratique pluricentenaire » : les franchises universitaires. « C’est la porte ouverte pour l’entrée des forces de police dans les campus pour contrôler l’application des lois ».

Il n’est pas inutile de rappeler que la loi de mars 2004 sur les signes religieux ostensibles repose sur un compromis, comparable à celui voulu par Jaurès au moment de la promulgation de la loi de 1905 ;la loi se veut d’autant plus rigoureuse dans l’école publique qu’elle concerne des élèves mineurs et futurs citoyens. A l’université, les étudiants sont majeurs et citoyens, libres d ’exprimer leurs convictions et leur militantisme.

Les gesticulations provocatrices de Manuel Valls à propos du voile l’université, au nom de la laïcité, ne sauraient faire oublier que le gouvernement de François Hollande a reconduit, le 21 février 2013, l’accord Kouchner-Vatican de 2008, dans le cadre du Processus de Bologne, sur la reconnaissance des grades et diplômes délivrés par les instituts catholiques.

Elles ne sauraient faire oublier non plus, pour revenir au Concordat en Alsace-Moselle, que l’Université publique de Strasbourg propose deux facultés de théologie (protestante et catholique). Celle de Metz, un département de théologie. Toutes délivrent - cas unique en France - un diplôme d’État de théologie. Quand elle était en charge de l’Enseignement Supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse proposait même d’y former les imams de France.

Et enfin, pour conclure, on apprend que le Président de la République, François Hollande, a confié à Philippe Bélaval, Président du Centre des monuments nationaux une mission de réflexion sur la place du Panthéon dans la vie de la République. Ce monument, édifié entre 1764 et 1790, est l’oeuvre majeure de l’architecte Jacques-Germain Soufflot. Destiné à l’origine à être une église sous l’Ancien régime, cet édifice devint à la Révolution, Panthéon, « lieu laïque républicain dédié au culte des grands hommes » (Dixit France.fr Le site officiel de la France). Aussi peut-on s’étonner qu’une gigantesque croix chrétienne persiste à surmonter ce « lieu laïque » par excellence. Cette croix avait été abattue par la Commune de Paris et remplacée par un drapeau rouge. Elle fut restaurée en 1873. Faute d’un drapeau rouge, l’État s’honorerait de substituer à un signe religieux ostensible le drapeau de la République au dessus de la coupole du Panthéon.

- Voir également : La CPU gardienne des franchises universitaires et de la laïcité ?


Publié dans Le Lien n° 176 de septembre 2013.
Le Lien est une publication trimestrielle de la FERC CGT.


Référence électronique

"La laïcité fait sa rentrée : entre coup médiatique et coups tordus", publié le 28 septembre 2013, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article72, consulté en ligne le 15 mars 2024


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