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mars 2013

V • Quelles modalités institutionnelles de régionalisation ?

Un transfert de l’ESR vers les régions qui n’a rien à voir avec le système allemand si souvent pris comme exemple.

L’Allemagne est souvent prise en exemple comme modèle de réussite d’un système universitaire régionalisé. L’utilisation de cet argument dans le débat français confine à la supercherie. Comparer la France et l’Allemagne dans le domaine universitaire revient à occulter l’énormité des différences institutionnelles entre un système politique centralisé, comme celui de la France, et un système fédéral, comme celui de l’Allemagne.

D’une part, le système fédéral allemand repose sur un mécanisme fondamental, dit de péréquation financière entre les Länder qui permet d’équilibrer les ressources disponibles à l’intérieur du pays en fonction des besoins de chaque région. C’est un mécanisme de solidarité inter-régional qui réduit les risques d’appauvrissement de certaines régions par rapport aux autres. Rien de comparable n’existe en France qui permettrait de s’assurer qu’aucune Région ne se trouve un jour en situation de ne plus pouvoir se payer un système public universitaire. Et pour introduire un tel mécanisme il faudrait une modification constitutionnelle (!). Tout, au contraire, dans les processus récents de désertification du pays en services publics conduit à l’inverse : le grand risque de la régionalisation universitaire est de créer des Régions gagnantes et d’autres Régions perdantes. Certaines concentreront les moyens financiers, les établissements prestigieux et les domaines scientifiques porteurs, tandis que d’autres verront disparaître années après années des diplômes, des matières, des unités de formation et de recherche. Toutes les décisions des dernières années au détriment des diplômes nationaux et au profit des diplômes d’université ainsi que tous les systèmes récents de financements par projet (ANR, Idex, Equipex...) prédisposent à cette évolution. Elle augmentera pour les familles le coût de l’accès à des études universitaires de plus en plus lointaines mais aussi les inégalités entre les habitants des régions gagnantes et ceux des régions perdantes et, dans chaque région, entre les grandes villes et les petites.

D’autre part, les libertés fondamentales indispensables à la qualité de l’enseignement et de la recherche sont protégées en Allemagne non seulement par la constitution fédérale mais aussi par les constitutions des Länder et par suite peuvent être invoquées à tout moment dans des procédures contentieuses visant à limiter les dérives contre lesquelles luttent en permanence les scientifiques et les pédagogues face aux pouvoirs politiques et aux pouvoirs économiques. Rien d’équivalent n’existe dans le système centralisé de la France où les "questions prioritaires de constitutionnalité" viennent juste d’apparaître et font l’objet d’un filtrage draconien du Conseil d’État. Alors que les Länder allemands disposent de compétences législatives et réglementaires, les Conseils régionaux français en sont dépourvus. Faute de pouvoir gouverner les universités par le droit, ils seraient réduits à les gouverner par l’argent. Or cet argent public faisant défaut, les politiques régionales ne peuvent que tendre à le rechercher auprès du secteur privé par la voie de contrats et partenariats publics-privés qui placeront inéluctablement le Service public sous dépendance du pouvoir financier et politique des entreprises privées. Ce qui privilégiera de surcroît certaines disciplines et en fera mourir d’autres jugées non conformes aux intérêts du marché.

Dans ces conditions, l’accroissement du pouvoir des réseaux de notables locaux, élus et entrepreneurs, sur le fonctionnement interne des universités ne peut conduire qu’à des dérives clientélistes, des dévoiements népotiques, des subordinations politiques de missions, services et procédures. La pénétration entamée des collectivités et entreprises locales dans les financements de diplômes est déjà à l’origine de telles dérives.

De ces deux points de vue, parmi les 121 propositions retenues par le Groupe de pilotage des Assises du MESR, celles regroupées sous le thème : " Redéfinir l’organisation nationale et territoriale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche " sont éclairantes sur les objectifs recherchés.

Certaines de ces propositions en particulier sont notamment inacceptables :

  • Comme la proposition numéro 111 qui veut : " Rendre obligatoire l’élaboration de Schémas Régionaux de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (SRESRI) définissant l’ambition et les objectifs du territoire. Ce SRESRI sera élaboré conjointement par l’ensemble des collectivités locales pertinentes - AVEC LA RÉGION COMME CHEF DE FILE - et les établissements et organismes présents sur le territoire. Les représentants de l’État seront porteurs de la déclinaison de la stratégie nationale en région. Les SRESRI seront conçus dans le respect de la valeur nationale des diplômes et des statuts nationaux des personnels. L’ensemble des forces économiques et sociales seront associées à leur élaboration. "
  • De même que la proposition n°112 qui vise à décrire dans les SRESRI les objectifs partagés relatifs à l’immobilier ou aux équipements des établissements.
  • Ou la proposition 113 qui, même si elle suscite débat entre les différents acteurs et notamment les présidents d’université qui craignent d’y perdre l’autonomie qu’ils ont gagnée avec la loi LRU, propose l’établissement du contrat quinquennal des établissements sous forme tripartite entre le MESR, les collectivités et l’établissement lui même.

Un tel projet est inacceptable :

  • parce qu’il inverse la relation entre le niveau national et le niveau régional : c’est à ce dernier d’apporter aux autorités nationales les informations dont elles ont besoin pour définir la stratégie nationale ;
  • parce qu’il ouvre la porte à une gouvernance partenariale déjà généralisée dans les politiques régionales (sociales, culturelles et environnementales) qui réduira la gestion de chaque université à la négociation opaque d’un simple avenant tripartite (État-Région-Université) au contrat de plan État-Région issu du SRESRI ;
  • parce que, dans l’intérêt des citoyens, le secteur éducatif doit demeurer fondé sur l’indépendance des pédagogues et des scientifiques dans la définition des priorités pédagogiques et scientifiques ;
  • parce que cela va accélérer le phénomène de spécialisations régionales par domaine d’ESR avec éviction de laboratoires, diplômes et filières hors du domaine de spécialité régionale... dont la conséquence globale pour l’ensemble du pays sera dramatique : la plupart des familles/étudiants ne trouveront plus sur leur région la filière de leur choix et devront se délocaliser pour étudier ailleurs, augmentant d’autant les coûts des études (logement et consommation) et la nécessité d’emprunter pour financer des études supérieures.

Publié dans Le Lien n° 174 de mars 2013.
Le Lien est une publication trimestrielle de la FERC CGT.


Référence électronique

"V • Quelles modalités institutionnelles de régionalisation ?", publié le 11 mars 2013, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article19, consulté en ligne le 15 mars 2024


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