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mars 2013

VII • Quelles seront les conséquences de cette politique ?

Perte de qualité, accroissement des inégalités sociales et territoriales, démantèlement du système national de recherche.

Le désengagement financier et politique de l’État, initié par " l’autonomie " des universités et prolongé par la régionalisation, porte atteinte aux intérêts d’une large partie de la population, socialement et/ou géographiquement défavorisée.

Quatre conséquences peuvent être attendues, la dernière découlant des trois premières :

  1. la dégradation de la qualité du Service public d’Enseignement supérieur et de Recherche ;
  2. le démantèlement du système national de Recherche publique ;
  3. la désertification des territoires en établissements de proximité ;
  4. l’aggravation des inégalités sociales.

Dégradation de la qualité du Service public d’Enseignement supérieur et de Recherche

Cette qualité dépend notamment du niveau de recrutement des enseignants, après huit à dix années d’études supérieures, et de l’élévation de ce niveau par l’articulation entre recherche et enseignement dans leurs services pédagogiques et dans la gestion de leurs carrières. Mais cette qualité dépend aussi du nombre de postes d’enseignants et de personnels administratifs et techniques assurant l’encadrement des étudiants.

C’est, avec les budgets nationaux de fonctionnement, ce qui a permis aux universités publiques françaises, contrairement à leurs homologues américaines, d’assurer un haut niveau de formation tout en s’ouvrant gratuitement à une partie large et croissante de la population.

À l’inverse, le désengagement financier et politique de l’État par transfert et sous-dotation de la masse salariale aux universités conduit à la prolifération des recrutements d’enseignants sous-qualifiés, précaires et surexploités, affaiblissant d’autant le niveau de formation offert à la population, contrairement à l’objectif " d’excellence " et de recrutements d’exception mis en avant. Et la qualité du fonctionnement interne se trouve gravement dégradée par l’externalisation vers le privé des tâches de gestion et d’administration.

Tant pour les enseignants que pour les personnels techniques et administratifs, la substitution des emplois/heures précaires aux emplois/heures statutaires sert à réduire le coût de production… mais en réduisant lourdement, dans le même mouvement, la qualité du Service public.

La régionalisation, dans un contexte de fiscalité locale déjà très tendue (et extrêmement injuste socialement parce que faiblement progressive), ne peut qu’accentuer cette dégradation de la qualité. Or les victimes de cette politique ce sont les familles, majoritaires dans la population, qui dépendent du Service public.

Démantèlement du système national de recherche publique

La régionalisation de l’ESR entraînera inéluctablement le démantèlement des établissements nationaux et leur dispersion dans les universités régionales ce qui reviendra à opérer une fusion non seulement des établissements scientifiques (CNRS, INRA, INSERM, etc.) mais aussi des carrières de chercheurs statutaires à temps plein dans la gouvernance régionalisée des universités pour laquelle, tant du côté des présidences d’universités que de celle des régions, l’intérêt de réduire les temps de recherche au profit de l’enseignement s’imposera comme une évidence dans toutes les matières.

Or, si une telle tendance à l’alignement de tous sur le statut actuel des enseignants-chercheurs est acceptable dans certains domaines (notamment, celui des sciences humaines et sociales), il serait gravement dommageable dans d’autres domaines, notamment ceux des sciences de la matière et de la technique où l’existence même de disciplines entières est strictement impossible sans chercheurs à temps plein pour assurer le fonctionnement des laboratoires, sans établissements nationaux capables d’orienter et supporter les choix de recherche sur des priorités bénéficiant à l’ensemble du territoire national et capables de défendre la préoccupation légitime de débouchés vers l’innovation alors même que les universités régionalisées tendront à le marginaliser face aux débouchés vers la formation.

Désertification des territoires

Cette politique d’autonomisation régionale de la pénurie conduit soit à faire proliférer la précarité (par substitution des emplois/heures précaires aux emplois/heures statutaires), soit à couper dans l’offre de formation en fermant des établissements ou des diplômes en fermant des classes / amphis et augmentant le nombre d’étudiants par classes/amphis. On voit déjà émerger la définition de priorités disciplinaires ou thématiques, au niveau des établissements et des régions qui permettent ensuite de justifier le délestage des recherches et formations non prioritaires.

Évidemment cette définition des priorités disciplinaires ou thématiques est "territorialisée", comme on dit dans la novlangue du moment, c’est-à-dire négociée avec les Conseils régionaux dont le niveau d’engagement financier via les contrats de plan État-Région sur l’ESR est très loin de compenser le désengagement de l’État. De très nombreuses petites villes perdront leurs universités ou leurs antennes universitaires ou leurs UFR, Laboratoires et IUT délocalisés. La politique actuelle conduira inéluctablement à la concentration des sites universitaires sur Paris et quelques métropoles/capitales régionales, pour un nombre limité, de régions (Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lille…) tout en produisant une désertification accrue des autres territoires.

Accroissement des inégalités sociales

Ces conséquences, notamment d’abaissement du niveau relatif de qualité du Service public gratuit vis-à-vis du service privé payant et de désertification des territoires au détriment de certaines régions perdantes et de certaines villes perdantes dégraderont la situation des familles les moins riches. Elles ne pourront s’appuyer que sur un Système public d’ESR dégradé, en payant des droits d’inscription probablement croissants et en assumant des coûts de prise en charge à distance d’étudiants qui, faute de trouver à proximité un large éventail de choix disciplinaires et sectoriels, devront inéluctablement se délocaliser s’ils veulent accéder aux formations de leur choix et si le dispositif de tri sélectif Admission PostBac (APB) le leur permet. Pour ces étudiants soutenus familialement comme pour ceux qui s’autofinancent par le travail, la concentration des sites universitaires sur les capitales/métropoles régionales augmentera considérablement les coûts de logement et de consommation courante durant les études supérieures.

La situation sociale d’un grand nombre d’étudiants est déjà dramatique ; cela ne peut que s’aggraver sous l’effet d’une telle politique. Ce qui, dans bien des cas, conduira à un endettement des jeunes par l’emprunt pour financer leurs études. Modèle de financiarisation dont on mesure aujourd’hui d’ores et déjà tous les dégâts qu’il a pu produire dans les pays anglo-saxons et tout particulièrement aux États-Unis où de jeunes diplômés ne trouvant pas d’emploi sont acculés à la mise en oeuvre de la procédure de déclaration en faillite personnelle.


Publié dans Le Lien n° 174 de mars 2013.
Le Lien est une publication trimestrielle de la FERC CGT.


Référence électronique

"VII • Quelles seront les conséquences de cette politique ?", publié le 11 mars 2013, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article18, consulté en ligne le 15 mars 2024


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