Revue syndicale à caractère scientifique et culturel de la CGT FERC Sup

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juin 2015

La CGT FERC Sup entendue par l’Observatoire de la laïcité

Déclaration liminaire de la CGT FERC Sup lors de son audition par l’Observatoire de la laïcité le mardi 23 juin 2015.

Nous vous remercions de cette invitation à donner notre avis sur la question de la laïcité dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Étant donné les délais impartis, je ne lirai que des extraits du texte que nous avions préparé et qui était destiné à nos syndiqués : ce n’est sans doute pas utile de rappeler ici les 2 premiers articles de la loi de 1905, que nous défendons.

Loi de 1905 :
Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2 : La République ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun culte…

[ Jean-Louis Bianco : Effectivement, mais en revanche, il est toujours utile de faire preuve de pédagogie en la matière.
VM, CGT FERC Sup : Ce qui m’amène d’ailleurs à faire remarquer que je regrette (à titre personnel, je n’ai pas de mandat sur le sujet) que dans la « charte de la laïcité » affichée dans les écoles, qui contient des éléments essentiels de la laïcité (liberté de conscience, devoir de neutralité des enseignants à l’école...), il ne soit pas fait mention du contenu de l’article 2 de la Loi de 1905. ]

Nous avons supposé que les affaires autour du voile islamique à l’université et des formations du type « religions et société » motivaient pour l’essentiel cette audition. Commençons par rappeler, comme le dit Jacques Rancière, que : « le concept de laïcité avait été conçu pour réguler les relation de l’État avec les Églises, la catholique notamment. Ce qui s’imposait à l’État, aux institutions, aux organismes publics
se transforme progressivement en une règle à laquelle tous les particuliers doivent se soumettre. Ainsi, il ne reviendrait plus désormais à l’État d’être laïque, mais aux individus. (…) on assiste en fait à un processus de ciblage d’une forme particulière d’oppression (le voile) pour mieux taire et confirmer les autres.
 »

Il est urgent ici de rappeler les grands principes de la démocratie, de la République et de la laïcité : « La laïcité ne sépare pas l’homme de la religion, elle sépare l’État de la religion ! » écrit-on très justement dans un numéro de Trait D’Union, bulletin CGT de l’enseignement privé. Ce n’est donc pas sur les individus que doit reposer la laïcité, mais sur l’État et ses institutions. La dérive qui consiste à cibler les individus conduit à déresponsabiliser l’État par rapport à sa mission de faire respecter la laïcité,
notamment en veillant à ce que ses représentations maintiennent avec vigilance la séparation avec toutes les Églises. C’est particulièrement manifeste dans le cas de l’ESR où l’on s’apprête à faire la chasse aux étudiantes voilées (voir les deux affaires récentes : l’ESPE de Créteil et l’université de Paris 13) alors que l’État, le ministère, les présidents d’université bafouent ouvertement et régulièrement les principes de la loi de 1905.

Les vrais dessous du voile islamique :
les franchises et les libertés académiques

L’Université, en France, a conquis de hautes luttes au cours des siècles son indépendance contre les ingérences du pouvoir et du clergé. Enseignants et étudiants ont conquis les franchises universitaires qui font des universités publiques des lieux de savoir et de liberté dans la recherche.

Ce sont ces franchises universitaires qui interdisent l’entrée des forces de police dans les facultés (dont la forme légale actuelle vient de la loi de novembre 1968, et codifiée dans l’article L712-2 du Code de l’Éducation). Celles-ci ne peuvent pénétrer dans les facultés qu’à la demande expresse des responsables de l’Université. Les questions de discipline et d’interdits sont réglées par la franchise juridictionnelle interne aux universités qui organise la légalité du pouvoir disciplinaire. Interdire le port de vêtements religieux, ou autres, au sein des universités, c’est remettre en cause une liberté démocratique pluricentenaire. C’est la porte ouverte pour l’entrée des forces de police dans les campus pour « contrôler l’application des lois ». Sous le masque d’une certaine conception de la laïcité, nous craignons que le véritable objectif soit de mettre fin ou à tout le moins d’atteindre aux franchises universitaires qui sont garantes des libertés démocratiques.

Autre aspect essentiel de l’enseignement supérieur et de la recherche : les libertés académiques garantissent aux enseignants et aux chercheurs du Supérieur, en dérogation complète avec le statut de fonctionnaire, une très large liberté pour ce qui concerne leurs enseignements et leurs recherches. Nous sommes extrêmement attentifs à tout ce qui pourrait servir de remise en cause de ces libertés académiques.
Notons au passage que les présidents d’université n’hésitent plus depuis déjà de trop nombreuses années à faire entrer sur leurs campus les forces de police pour réprimer et évacuer les étudiants et les personnels, qui contestent pied à pied la politique d’austérité que ces présidents mènent et les orientations destructrices qu’ils défendent. Ces mêmes présidents d’université n’hésitent pas non plus à déserter leurs campus pour réunir à plusieurs kilomètres de leurs sièges sociaux, sous la protection de plusieurs rangs de CRS, des conseils d’administration « bunkerisés », mis ainsi à l’abri de toute intrusion « perturbatrice » des personnels désireux de faire entendre leur voix.

Le Code du travail et l’expression syndicale en entreprise :
cibles d’une conception de la « laïcité » ?

Nous sommes également extrêmement méfiants envers toute extension de la laïcité au sein des entreprises, ce qui, selon nous, ne manquerait pas d’être un alibi pour des patrons servant à limiter les droits syndicaux, en particulier la liberté d’expression syndicale. Ce droit d’expression syndicale est déjà très dur à mettre en place en pratique, et constamment remis en cause.

L’expérience de la charte « laïcité en entreprise » mise en place à PAPREC énonce :

« 1/ La laïcité en entreprise assure aux salariés un référentiel commun et partagé, favorisant la cohésion d’entreprise, le respect de toutes les diversités et le vivre ensemble. » et « 5/ La laïcité en entreprise implique que les collaborateurs ont un devoir de neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leur travail. » Ce « vivre ensemble », cette « cohésion d’entreprise », ce « devoir de neutralité » nous semblent très lourds de menaces pour la liberté de pratique syndicale. Rappelons que l’entreprise relève de la sphère privée, et que la laïcité s’applique aux institutions.

« Quand la laïcité est partout, elle n’est nulle part ! »

Les mêmes ténors qui ne cessent de se réclamer de la laïcité dans les tribunes politiques ou dans les médias, refusent pourtant avec obstination d’exiger l’abrogation de la loi Debré du 31 décembre 1959 qui organise le détournement chaque année de plus de 10 milliards d’euros de fonds publics pour les écoles privées et ultra majoritairement catholiques.

Plus que par un morceau de tissu, la loi de 1905 est régulièrement bafouée et menacée dans l’ESR par les gouvernements successifs depuis plus d’une décennie. Rappelons les accords Kouchner/Vatican du 18 décembre 2008 : les établissements privés catholiques peuvent délivrer des diplômes religieux et « profanes », au nom du processus de Bologne de l’Union européenne, et la République LAÏQUE les reconnait à égalité avec les diplômes délivrés par l’Université publique. C’est la remise en cause du principe du monopole de la collation des grades qui a fondé l’université républicaine en 1880.

Nous notons que, en dépit des dénégations portées à l’époque selon lesquelles les diplômes catholiques se limiteraient aux diplômes religieux, il existe à présent un diplôme « profane » préparé par un établissement catholique et reconnu par la République : le doctorat « Éducation, Carriérologie et Éthique » de la Faculté Libre de l’Ouest, dite « Université Catholique de l’Ouest ».

Par ailleurs, à ce propos, nous rappelons que l’article L731-14 du Code de l’Éducation (reprenant la loi de 1880) stipule : «  les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’universités  ». Cette disposition a été confirmée dans le cas d’association d’établissements d’ESR, cf. article L718-16 du même Code. Or il suffit d’aller sur le site internet des établissements catholiques de Lyon, de Lille et de l’Ouest-Bretagne, pour voir qu’ils utilisent le titre d’université, ce qui est manifestement interdit et est « puni de 30000 euros d’amende ». Nous demandons que la loi soit appliquée.

Diplômes de formation à l’intention des religieux

En février 2015, le premier Ministre a annoncé qu’une formation universitaire va être étendue dans toute la France pour compléter la formation des imams et aumôniers (sans qu’il soit bien clair si les aumôniers visés sont exclusivement musulmans ou non). Le diplôme civil et civique existe déjà dans plusieurs villes de France, dont Montpellier. Farid Darrouf, qui dirige la grande mosquée de la Paillade dans la ville de Montpellier, donne des cours depuis la rentrée à la faculté de droit de Montpellier. La formation est ouverte aux étudiants, aux aumôniers, aux imams et aux responsables d’associations religieuses. Un diplôme universitaire « religions et sociétés » va même être créé. Une douzaine d’universités devraient le proposer d’ici la fin de l’année, comme l’université de Bordeaux qui dispensera dès septembre prochain un diplôme « religions et sociétés ». Ceci nous paraît parfaitement contraire à la laïcité des formations des établissements publics et en particulier à la non-reconnaissance des cultes par l’État (art. 2 de la Loi de 1905). L’État n’a pas à s’ingérer dans la gestion des cultes et à former les religieux. Ce n’est pas à la République d’assurer la formation des prêtres dans les séminaires, pas plus que celle des pasteurs, imams ou rabbins.

Remarques sur les Master MEEF privé

La CGT des établissements d’enseignement privé nous a signalé des circulaires du Ministère de l’Éducation nationale (du 11 juillet 2014, et du 11 juin 2015), qui obligent les titulaires des concours d’enseignement privé à s’inscrire dans des établissements privés pour leur Master 2 MEEF. Ceci contrevient au principe de laïcité et d’égalité, dans la formation de futurs agents publics (qui devront certes enseigner dans des établissements privés) : le but du M2 MEEF est d’exiger un certain niveau de qualification. Au nom de quoi l’inscription dans un établissement public devrait-elle être exclue ?

La CGT des établissements d’enseignement privé a décidé d’attaquer juridiquement ces circulaires.

Les regroupements d’établissements, ou la confusion des genres

Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, on n’oubliera pas que ce que nous appelons la loi LRU-Fioraso du 22 juillet 2013, parce qu’elle prolonge la politique de la loi LRU-Pécresse du 10 août 2007, oblige les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à se regrouper, notamment au sein des « Communautés d’universités et d’établissements » (ComUE) qui ont statut d’EPSCP, c’est-à-dire qu’elles sont des universités. Nous continuons à demander l’abrogation de ces deux lois. Elles posent de nombreux problèmes, mais du point de vue particulier de la laïcité, elle permet le regroupement d’établissements publics et privés, dont les établissements confessionnels, ce qui peut induire de nombreuses dérives : dérives financières, dérives en terme de contenus de formations, de concurrence entre les formations, etc.

L’exemple emblématique est l’université de Lorraine, qui a le statut dérogatoire de « Grand Établissement », et qui est à cheval entre la terre concordataire et la terre républicaine de droit commun. Là encore le mélange des genres est complet entre public et privé, entre public et confessionnel.

La CGT FERC Sup revendique :

  • l’abrogation de la loi n° 59-1557 (dite loi Debré) du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés ;
  • l’abrogation du statut clérical d’exception d’Alsace-Moselle : la séparation des Églises et de l’État sur tout le territoire de la République ;
  • l’abrogation du décret n° 2009-427 du 16 avril 2009 portant publication de l’accord entre la République française et le Saint Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur ;
  • le retour au monopole de l’université républicaine (pas d’appellation « université catholique ») et de la collation des grades ;
  • le respect intégral des franchises universitaires et des libertés académiques des enseignants-chercheurs ;
  • le contenu des formations en particulier doit rester indépendant à toute forme de pressions extérieures à l’université publique, qu’elles soient religieuses, politiques ou économiques ;
  • l’arrêt immédiat de la mise en place des ComUE et des fusions d’universités, instaurées par la loi LRU-Fioraso du 22 juillet 2013 ;
  • en attendant, l’accès public aux conventions et annexes financières des regroupements d’établissements publics et privés (dont les confessionnels), afin d’éviter le financement du privé par le public ;
  • la suppression des diplômes universitaires « religions et sociétés » ;
  • la liberté de s’inscrire dans un établissement public (M2 MEEF) pour les enseignants stagiaires reçus aux concours du privé.

Lire le rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2016-2016
Le site de l’Observatoire de la laïcité


Référence électronique

"La CGT FERC Sup entendue par l’Observatoire de la laïcité", publié le 23 juin 2015, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article73, consulté en ligne le 15 mars 2024


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