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Message de la FERC CGT au Congrès national de La Libre Pensée du 23 août 2016 à Bourg-Lès-Valence.


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décembre 2012

Enseignement supérieur et recherche face à la décentralisation

La loi en cours d’élaboration est incluse dans le processus de décentralisation où l’ESR tient une place centrale comme levier du développement local aux mains des pouvoirs politiques et patronaux locaux.

Le 4 décembre 2012, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organe parlementaire constitué à parité de députés et sénateurs désignés à la proportionnelle des groupes politiques, organisait une audition publique pour tirer les conclusions législatives et réglementaires des assises organisées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR).

L’OPECST qui se veut être l’interface entre le législateur et les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche a présenté cette journée comme l’aboutissement des assises organisées par le MESR.

Avec l’objectif affirmé de rétablir la confiance avec la communauté scientifique et universitaire, le gouvernement s’est donc efforcé de donner à ce qu’il présente comme une concertation très large toutes les apparences d’un large dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés.

Dans ce contexte, noyées au milieu d’expressions de toutes natures, la parole des personnels et la voix des organisations syndicales qui les représentent avaient fort peu de chances d’être audibles et cette expression s’en est trouvée très minorée.

Par contre, la voix de l’organisation des dirigeants des établissements universitaires - la Conférence des présidents d’université (CPU) - était omniprésente, autant dans les instances d’organisation et de pilotage de ces assises qu’au niveau des intervenants et contributeurs. Singulière façon de concevoir le dialogue et la concertation quand on met les représentants de l’organisation des chefs d’établissements en situation de formuler tout à la fois les questions et les réponses.

Les enjeux de la loi d’orientation à venir

L’objectif assigné par la ministre au Comité de pilotage était sans ambiguïté : apporter des correctifs à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU). Les assises avaient donc mission de ne rien défaire de fondamental de ce qui a été mis en place par le gouvernement et les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche précédents. Il fallait aussi donner la possibilité à certaines organisations syndicales d’intégrer l’action gouvernementale et de se mettre en situation de cogestion. L’objectif est également de légiférer pour poursuivre et avancer dans la voie de la privatisation et de la régionalisation de l’enseignement supérieur.

Il s’agit en définitive pour le gouvernement et la ministre de maintenir les universités dans le cadre de la loi LRU et du système des Responsabilités et compétences élargies (RCE) imposant la gestion de la masse salariale directement par les établissements, dont nous savons qu’il est à l’origine du déficit budgétaire des universités.

En effet, le gouvernement ne confère jamais aux universités la masse salariale suffisante correspondant à leurs plafonds d’emplois. Ce qui instaure un processus de fabrication mécanique du déficit des universités analogue à celui de la création artificielle de la dette des États auprès des banques privées d’affaires et de spéculation. Les RCE, c’est-à-dire la gestion de la masse salariale par les établissements, créent et nourrissent le déficit, fragilisant ainsi le système universitaire qui est alors plus que mûr pour se voir proposer de nouvelles formes de contractualisation entre l’État qui se désengage et de nouveaux partenaires prêts à s’engager. La décentralisation apparaît alors comme un remède à la crise, au déficit et au désengagement de l’État.

D’une manière générale la décentralisation est un outil fondamental qui constitue une façon sournoise pour l’État de " ventiler sa politique d’austérité ", en la faisant prendre en charge par tous les opérateurs à tous les niveaux institutionnels. En se désengageant, l’État ouvre la voie à l’externalisation de ses services (publics). Toutes les collectivités territoriales (communes,intercommunalités, département et régions) ont souffert du transfert des compétences de l’État en leur direction, sans que celles-ci ne s’accompagnent des moyens suffisants pour leur exercice. Le pacte budgétaire européen va percuter de plein fouet ces mêmes collectivités territoriales, soumises à la même règle d’or et placées sous tutelle au même titre que les États. Elles devront se plier à la " police financière et fiscale " incarnée par le futur haut-conseil des finances publiques, nouvelle institution chargée de faire respecter l’austérité érigée en dogme permanent.

Une pièce maîtresse dans le processus de décentralisation

C’est donc dans ce cadre précis que s’engage le processus de décentralisation des universités.

  • Cela fait plus de 5 ans que les compétences ont été transférées de l’État vers les universités, en matière d’emplois et de masse salariale (transfert du titre 2 vers le titre 3).
  • Les universités ont acquis une autonomie renforcée et sont donc divisées et en situation de concurrence.
  • Elles sont fragilisées et à la recherche de nouveaux partenariats.
  • Les régions disposant de nouvelles compétences, dont celles de gérer les fonds européens, se montrent particulièrement intéressées par le système universitaire, le font savoir et disposent de moyens financiers qu’elles pourraient mobiliser.
  • Dans le contexte de crise actuelle, les régions également concurrentes entre elles voient dans l’enseignement supérieur et la recherche un vecteur important pour le développement de leur activité industrielle et commerciale, le renforcement de leur visibilité et de leur attractivité.

Les conditions sont donc réunies pour avancer sur les projets de décentralisation/régionalisation des universités en faisant se rencontrer les interlocuteurs pertinents. C’est l’un des rôles qu’ont eu ces assises au cours desquelles on n’a pas manqué de se demander comment " redéfinir l’organisation nationale et territoriale de l’enseignement supérieur et de la recherche ".

On a pu constater, lors de l’audition organisée par l’OPECST, comment le concept libéral d’ " État stratège " était largement intégré par les participants pour justifier le transfert des responsabilités et compétences de l’État vers les écosystèmes locaux.

Ce concept d’ État entreprenarial qui gère désormais tout au moyen de contrats d’objectifs et de moyens permet de démanteler méthodiquement l’ensemble des Services publics.
Les principes républicains d’égalité entre les territoires ou d’égalité d’accès à la culture, à l’éducation et à l’enseignement supérieur pour tous les citoyens quelles que soient leurs origines géographiques et sociales sont oubliés. On impose aux opérateurs, par le contrat, des modes de gestion basés sur le résultat et la performance. Ce qui aura pour conséquences un accroissement des inégalités sociales et de la désertification des territoires.

Dans le même temps, sous la pression du patronat, la mission devient centrale. L’objectif prime sur la réalisation et les conditions de travail qui vont permettre d’accomplir la mission. On veut contraindre le travailleur a être tout entier tendu vers des résultats et des performances au détriment de sa sécurité et de la qualité de son travail.

Le contrat et la mission dans l’enseignement supérieur et la recherche vont permettre de justifier tous les sacrifices. Ils vont accroître le sur-travail et le travail caché, donc la précarité. Ce qui n’est pas sans conséquences sur les personnels.

La réduction de la masse salariale est la seule marge de manœuvre dont disposent les présidents d’université pour rester maîtres de leur politique financière et c’est avec des objectifs d’économies d’échelle que s’est engagée une politique de regroupement tous azimuts, que ce soit sous la forme de fusions, d’universités fédérales, d’universités confédérales ou de communautés d’universités.

Même si en raison de l’éclatement du Service public d’Enseignement supérieur et de recherche provoqué par la loi LRU, le mouvement est diffus et plus difficilement perceptible, c’est un plan social d’ampleur qui est aujourd’hui à l’œuvre au niveau national.
Les recompositions imposées par la course à “ l’excellence " des investissements d’avenir du Grand Emprunt, toujours en cours, tendent vers une régionalisation de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui accentueront ce mouvement.

Ce qui n’est pas sans conséquences sur les personnels qui sont de plus en plus fréquemment soumis à des situations de travail pathogène. Les syndicats des établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont témoins d’une montée en puissance d’un réel état de souffrance des personnels qui aboutit dans certains cas à des situations dramatiques.
Les directions sont très discrètes sur ce sujet et les médias peu loquaces, mais on est aujourd’hui confrontés à une multiplication préoccupante de suicides de personnels de nos établissements, notamment sur leur lieu de travail, de situations de harcèlement et de souffrances mentales, de déni des droits individuels et collectifs.

Il faudra donc que les rédacteurs de la loi et la représentation nationale qui discutera la future loi n’oublient pas que derrière toutes les restructurations et dispositions législatives ou réglementaires qu’ils imagineront mettre en œuvre, il y a des femmes et des hommes qui veulent continuer à aimer leur travail sans avoir à y sacrifier leur vie.


Publié dans Le Lien n° 173 de décembre 2012.
Le Lien est une publication trimestrielle de la FERC CGT.

En février 2012, le Collectif confédéral CGT Recherche auquel contribue la CGT FERC Sup publie ses "Repères CGT sur le paysage de la recherche en France".


Référence électronique

"Enseignement supérieur et recherche face à la décentralisation", publié le 17 décembre 2012, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article14, consulté en ligne le 15 mars 2024


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