Revue syndicale à caractère scientifique et culturel de la CGT FERC Sup

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juillet 2017

1.3 La recherche

L’enseignement supérieur est un enseignement à la recherche, par la recherche : il offre à chaque citoyennne et citoyen un accès à la pointe du savoir : le savoir en train de se faire, sur la crête au-delà de laquelle nous n’avons plus de certitudes et dont on s’efforce en permanence de repousser les limites.

La finalité d’un tel enseignement est l’apprentissage de la recherche elle-même, de ses méthodes et de son doute méthodique et méthodologique, que l’on poursuive cet apprentissage pour devenir un chercheur ou pour bénéficier, toute sa vie, en tant que citoyenne et citoyen ou en tant que travailleuse et travailleur, de l’aiguillon du savoir en train de se faire, d’une vision plus ample de l’ensemble des questions qui se posent à nos sociétés.

Un tel enseignement offre aussi à la société un lieu où les interrogations et les avancées de la recherche deviennent appropriables collectivement : un lieu où toute la société peut trouver les ressources qui permettront d’améliorer nos conditions de vie, de satisfaire nos besoins et d’éclairer les décisions qui engagent notre avenir.

1.3.1 L’abandon progressif de la recherche par l’État

La fin du quinquennat Hollande nous oblige à un bien triste constat. L’audition publique du 8 décembre 2016 conduite par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) dans le cadre de l’évaluation de la stratégie nationale de recherche aura permis de le mettre en évidence [1].

En 2012, le candidat Hollande avait fustigé la politique de Nicolas Sarkozy en rappelant qu’en dix ans, de 2002 à 2012, la France avait régressé « en intensité de recherche… de la 4e à la 15e place des pays de l’OCDE ». Le temps des promesses passé, le président normal n’y a rien changé. La France est toujours à la traîne des pays de l’OCDE, avec 2,3% de son PIB investi dans la recherche dont 0,8% dans la recherche publique (contre 3 % en Allemagne dont 1 % pour la recherche publique). Comme l’affirme le sénateur socialiste Michel Berson lors de son audition « Pour rattraper l’Allemagne, avec une recherche publique à 1 % du PIB, il faut une loi pluriannuelle de programmation d’une augmentation de 1 milliard chaque année de notre budget consacré à la recherche publique durant cinq ans ».

De la même manière, le candidat Hollande critiquait à bon endroit l’« autonomie » des universités, qui contraint celles-ci à geler des postes pour faire face à leurs dépenses croissantes. Or, on sait aujourd’hui que les créations de postes opérées en 2012-2016 n’ont pas compensé les départs (1 000 créations contre 1 200 titulaires partis) et alors que le nombre des inscriptions d’étudiantes et étudiants dans les établissements a augmenté. Les mêmes pratiques de gels de postes des personnels enseignants se sont amplifiées pour atteindre leur paroxysme en décembre 2016, comme l’ont signalé les élus CGT FERC SUP lors de la présentation du Budget 2017 au CNESER. Même si le gouvernement a cédé au chantage de la CPU en accordant un modeste complément budgétaire pour tenir compte de la croissance des inscriptions, la politique menée est loin d’être à la hauteur des enjeux de l’ESR. Là encore, le ministère se félicite d’une rallonge en oubliant qu’elle ne compense pas le coût de l’augmentation de la masse salariale et du nombre d’étudiants, obligeant un nombre croissant d’universités à geler les postes, comme en témoigne la douzaine d’établissements où les personnels et étudiants sont entrés en lutte cet automne pour protester contre l’austérité imposée.

Le quinquennat Hollande aura donc aggravé la situation de la recherche publique et de l’enseignement supérieur, laissant l’investissement dans la recherche en France à son faible niveau. Pire, les récentes évolutions, tout en confirmant l’affaiblissement du rôle de l’État, auront aggravé les déséquilibres budgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur publics français.

1.3.2 Le financement de la recherche par projet

C’est la tendance lourde, depuis le quinquennat Sarkozy : la baisse des fonctionnements récurrents des laboratoires. En 2004, la dotation aux laboratoires était de 194 M€ en euros constants valeur 2013, contre 145,2 M€ en 2014. Cette baisse, jointe à la nécessité pour les équipes de fonctionner par appels à projet auprès de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou de l’European research Council (ERC), a considérablement modifié les conditions de travail des personnels de la recherche, assignés désormais à la recherche de fonds et à l’encadrement en permanence renouvelé des personnels précaires et éphémères générés par ce type de programmes. Des services entiers sont ainsi dédiés à l’aide au montage de projets et aux demandes de financement et les recrutements conditionnés à la capacité d’élaborer de tels montages. Le gaspillage est considérable : l’ANR affichait des frais de gestion de 33 millions d’euros , soit 6 % du budget total en 2014, alors que ce travail de répartition des crédits était accompli au sein des laboratoires et des institutions sans que cela coûte plus cher à la nation.

On pourrait même ajouter que le modèle de l’Institut universitaire de France (IUF), fortement sollicité sous Sarkozy, sans que ce succès soit démenti sous Hollande, décline la même logique au niveau des individus qui doivent concourir pour gagner le temps et les moyens de recherche que l’accablement des tâches administratives et pédagogiques, couplé à l’assèchement des moyens propres, ont tari. La logique de l’appel à projet permet en outre d’opérer une sélection drastique des objets de recherche que l’on juge dignes d’être financés. Les « Programmes d’investissement d’avenir » (IdEx, LabEx et EquipEx) concentrent depuis 2010 des moyens sur quelques sites au détriment du nécessaire foisonnement de la recherche. Sur ces sites mêmes, ils reproduisent une politique d’appels d’offres similaire à celle mise en place à l’échelle nationale en mettant en concurrence les chercheurs qui voudraient bénéficier des quelques financements supplémentaires qu’ils permettent d’obtenir. Dans tous les cas, ces financements qu’ils procurent ne couvrent pas du tout l’intégralité des besoins.

Le quinquennat Hollande s’est ouvert sur la remise en cause, apparemment vertueuse, du financement par projet. Il s’agissait d’assécher les crédits ANR. La diminution a bien été réalisée, mais au lieu de revaloriser les budgets pérennes le gouvernement a au contraire approfondi la politique « ex ». Et le peu d’argent qui a été investi dans la recherche a été consacré à un très petit nombre de projets. En 2016, le gouvernement, par l’intermédiaire de l’ANR, a doté par exemple de plusieurs dizaines de millions d’euros 5 instituts thématiques (groupement d’une centaine de chercheurs issus de plusieurs laboratoires) répartis sur 4 villes en France. Ceux-ci s’appuient sur des Labex existants, et cumulent donc les financements de ces derniers avec les ressources qui viennent de leur être allouées. L’état de la recherche est au bout du compte calamiteux : privée de ses financements récurrents elle ne trouve dans la plupart des cas plus d’argent auprès du guichet ANR. En 2014 le taux de succès sur appel ANR était tombé à 8,5 %, provoquant une diminution drastique du nombre de projets présentés à ce qui était devenu une loterie. Malgré cela, le taux de succès est resté sous la barre des 10% en 2015 et atteint péniblement les 12,5 % en 2016. Il faut enfin remarquer que ces programmes de mise en concurrence à toutes les échelles (entre les sites pour les obtenir, puis entre les équipes d’un même site pour en bénéficier) sont comme on l’a déjà précisé très chronophages à la fois pour les candidats et pour les évaluateurs, pour un résultat tout à fait hypothétique. Le coût jamais évalué du temps de travail consacré à ces appels à projets au détriment de la recherche est sans conteste considérable.

1.3.3 La spécialisation « intelligente » des régions européennes

Les institutions européennes ont défini une forme de convergence de l’ensemble des systèmes de recherche à l’horizon 2020 - d’où son nom d’horizon « H2020 ». Il s’agit d’amener chaque région à se placer sur la ligne de départ d’une vaste mise en concurrence pour capter les fonds structurels européens. Cette évolution signera un tournant dans le désengagement de l’État du financement de la recherche. En outre, pour préparer cette échéance, chaque région a été invitée à définir les quelques axes sur lesquelles elle pourrait être compétitive à côté des autres régions. C’est ce que l’on appelle la « smart specialisation », ou spécialisation « intelligente ».

La politique de site développée dans le cadre des regroupements est la façon dont cette spécialisation a été implémentée en France. Ainsi, en Bourgogne Franche-Comté, c’est vers l’agroalimentaire, la santé et les micro-technologies que les efforts de recherche devront être orientés, avec un IdEx accroché à ces axes, et destiné à ponctionner les postes jusqu’ici assignés aux établissements membres.
Pour résumer, la spécialisation « intelligente » a pour but de concentrer les efforts budgétaires sur les secteurs d’activité déjà porteurs économiquement et d’éviter les doublons entre régions…
Ainsi, ce sont toujours les mêmes, c’est-à-dire ceux qui sont déjà en place sur le plan industriel ou commercial qui capteront les financements de la recherche, région par région. C’est donc à terme la richesse et la diversité de la recherche et, par effet d’entraînement, de l’enseignement supérieur, dans chaque région qui sont menacées et la possibilité d’adosser toutes les formations à une recherche de qualité.

1.3.4 Relations de la recherche et des forces économiques

La politique de site peut permettre à la recherche publique de jouer son rôle dans l’effort de réindustrialisation et de retour au plein emploi. Si la CGT FERC Sup ne nie pas ce rôle assigné à la recherche, elle craint néanmoins que cet objectif ne se résume en réalité à soumettre les moyens de la recherche publique aux impératifs à court terme et à courte vue du patronat, notamment local, avec la mise en œuvre de la politique de spécialisation « intelligente ».

Ceci est d’autant plus vrai si ce même patronat peut bénéficier en même temps d’outils faciles d’optimisation fiscale tels que le Crédit impôt recherche (CIR). Alors que l’étranglement budgétaire des organismes de recherche et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche s’accélère, plus de 5 milliards d’euros par an sont offerts aux entreprises, grands groupes et multinationales en tête par l’intermédiaire du CIR. Selon la Cour des comptes elle-même, il n’y pas de réel retour pour la société (ni investissement dans la recherche, ni création d’emplois).

Les trois axes politiques que sont les restructurations, la recherche dite « partenariale » et l’austérité nuisent à la stratégie nationale de recherche, qui devrait être impulsée principalement par les organismes de recherche nationaux et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui constituent notre service public national d’enseignement supérieur et de recherche. Ces orientations politiques majeures contraignent les acteurs de la recherche à adapter leurs choix et l’orientation de leurs recherches aux seuls besoins du patronat local et à la captation des résultats de la recherche par des intérêts privés.

La CGT FERC Sup refuse cette conception mercantile de la recherche et de l’enseignement supérieur qui conduit à une impasse pour l’avenir de la science et des générations à venir.

La conception utilitariste de la recherche et son pendant, la « professionnalisation » de l’enseignement supérieur et de ses formations, sont des alibis utilisés pour réduire le champ de la recherche non lucrative, sans « rentabilité » financière ou économique immédiates, et de mettre les financements de la recherche au service des intérêts du capital. Ces alibis servent également à couper les moyens et la capacité de la recherche, en particulier dans le domaine des sciences humaines et sociales, susceptible de porter un œil critique sur notre société, son organisation, son fonctionnement et celles ou ceux qui la gouvernent.

1.3.5 Les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche

Les organismes de recherche nationaux sont menacés d’éclatement et d’absorption dans les ComUE au niveau régional. Avec des ressources propres amputées et réduits à la poursuite de financements sur projets, ils perdent leur capacité à déterminer les tendances profondes de la recherche, gage de la capacité de notre société à sonder les défis qui n’ont pas encore pris forme.

La CGT FERC Sup et le SNTRS CGT n’ont pas renoncé à lutter pour que les organismes de recherche nationaux soient renforcés dans leurs structures, que leurs financements redeviennent pérennes et que leur rôle dans l’orientation de la recherche nationale soit confortée. C’est un combat que la CGT FERC Sup poursuit en même temps qu’elle défend le principe d’une meilleure articulation entre la recherche et l’enseignement supérieur qui est au cœur du métier de l’ensemble des personnels des établissements d’enseignement et de recherche .

Si la loi LRU-Fioraso a mis en lumière la nécessité d’une coopération et d’une articulation meilleures entre la recherche et l’enseignement supérieur, la voie qu’elle propose à travers l’éparpillement des organismes de recherche dans les ComUE n’apporte aucune réponse pour l’avenir et l’émergence de nouveaux possibles.

De nouvelles synergies entre les organismes de recherche, les écoles d’ingénieurs et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont néanmoins indispensables pour que les élèves ingénieurs bénéficient d’un apprentissage plus approfondi de la recherche, pour que les universitaires aient des possibilités d’accès à la professionnalisation dans la recherche plus large, pour que la recherche irrigue mieux et plus des études supérieures de haut niveau ouvertes au plus grand nombre.

L’une des voies possibles serait probablement de travailler sur l’hypothèse de rapprochements plus forts des organismes de recherche et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, non pas à travers des regroupements structurels et administratifs forcés et artificiels, mais par une logique disciplinaire et des objets de recherche. Ceci permettait aux enseignantes-chercheuses et aux enseignants-chercheurs ainsi qu’à leurs laboratoires de rattachement de mieux bénéficier du croisement des résultats, des moyens et du temps de recherche par délégation que peuvent fournir les organismes nationaux.

Ainsi, les uns et les autres contribueraient chacun avec leurs moyens, leurs approches et leurs pratiques à vivifier les chantiers de recherche, à élargir les champs de l’enseignement et à conquérir de nouveaux territoires du savoir.


La CGT FERC Sup revendique

  • L’augmentation du budget de la recherche publique à 2 % du PIB.
  • Le retour au financement récurrent des laboratoires (via les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche) accompagné de la suppression de l’ANR.
  • Le maintien des organismes de recherche nationaux.
  • Un plan de recrutement de fonctionnaires pour redonner des perspectives d’avenir aux jeunes chercheuses et chercheurs ainsi qu’à la recherche.
  • La suppression du Crédit impôt recherche (CIR) et l’affectation du budget qu’il représente à l’enseignement supérieur et à la recherche publics.
  • La suppression du HCERES (agence d’évaluation sans élus).
  • La suppression du Conseil stratégique de la recherche (instance sans élus ni représentants des personnels et des salariés placée auprès du Premier ministre).


Référence électronique

"1.3 La recherche", publié le 23 juillet 2017, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article82, consulté en ligne le 15 mars 2024


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