Revue syndicale à caractère scientifique et culturel de la CGT FERC Sup

Nuage de mots


Dernière publication



La Résistance s’organise


Accueil > Tous les cahiers thématiques > Document d’orientation de la CGT FERC Sup • 2e congrès (Angers (...) > Axes revendicatifs > 1. Restructurations et mutations de l’ESR > 1.1. La loi LRU et la loi Fioraso dans les établissements

novembre 2014

1.1. La loi LRU et la loi Fioraso dans les établissements

Pour comprendre

L’autonomie est le mot clef de la décennie. Valeur portée par certains syndicats, elle a été mise en avant par le gouvernement Fillon comme le fondement de la loi LRU du 10 août 2007. Le consensus politique autour de cette notion se manifeste dans le fait que la loi Fioraso du 22 juillet 2013, portée dès ses premiers mois par le gouvernement Ayrault, a pris soin d’en approfondir le sens – ce qui peut lui valoir d’être mieux appelée « Loi LRU-Foiraso ».

D’un gouvernement à l’autre, la formule reste : ce que l’on veut, c’est l’autonomie « assumée », l’autonomie « dans la responsabilité ». La liberté, c’est le devoir d’être responsable (le L de Liberté et le R de responsabilité sont présents dans l’acronyme LRU) : les « opérateurs » sont sommés d’être libres de formuler des projets d’établissement et d’assumer leurs charges. C’était en quelque sorte le piège tendu aux présidents : devenez de véritables patrons porteurs d’un projet fort et... prenez vous-mêmes les décisions difficiles qui découleront de la pénurie annoncée. C’est là une mise en application du principe de subsidiarité prôné par l’Union européenne et contraire à la démocratie : mettre en œuvre les politiques décidées par le sommet à l’échelon le plus bas possible.

1.1.1. La gouvernance (art. 712-1 à 7 du code de l’éducation)

L’autonomie, c’est d’abord celle des présidents : un établissement autonome, c’est un établissement soumis à un « projet », porté par une équipe présidentielle, libéré le plus possible des contraintes de la collégialité. La LRU-Pécresse resserre la gouvernance autour du président. La grande nouveauté, la plus déterminante, celle sur laquelle la loi LRU-Fioraso ne reviendra pas, c’est la réduction drastique du corps électoral élisant le président au seul CA, alors qu’il était élu par l’assemblée des trois conseils comme le stipulait l’article L712-2 du code de l’éducation hérité de la loi Savary. Une fois cela accompli, il reste à s’assurer du verrouillage du CA. Pour ce faire, il n’y a pas besoin de modifier sa structure, traditionnellement très favorable aux EC (la loi de 1984 établissait la proportion suivante : de 40 à 45 % de représentants des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs ; de 20 à 30 % de personnalités extérieures ; de 20 à 25 % de représentants d’étudiants et de 10 à 15 % de représentants des personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service), mais il faut jouer tout d’abord sur le nombre (on passe d’une fourchette de trente à soixante membres à une fourchette de vingt à trente) et changer le mode de scrutin (interdiction du panachage et prime majoritaire) pour assurer qu’une liste puisse véritablement contrôler la quasi-totalité des sièges EC. La loi précise en outre que la moitié des sièges EC iront aux professeurs (ce qui offre à ceux-ci une surreprésentation par rapport à leur démographie) et rend la représentation de tous les secteurs de formation obligatoire pour les listes au CA : les aléas électoraux s’en trouvent fortement réduits et les élections au CA réservées aux syndicats majoritaires et aux alliances entre directeurs.

Une autre instance mise en place avec la LRU-Pécresse est bien le comité technique (CT), instance à laquelle nous, la CGT, avions voulu croire en tant que lieu de négociation par excellence ! Aujourd’hui, on constate qu’en raison du caractère seulement consultatif du CT, les présidents sont « pressés » pour en obtenir l’avis, même négatif, pour soumettre leur texte au CA qui au vu de sa composition l’approuve... Cependant, il s’agit d’une instance qui rend obligatoire la diffusion de certaines informations et documentations financières, RH... (Ex. bilan social). En outre, l’article 48 du décret du 15 février 2011 instituant les CT prévoit qu’en cas de vote défavorable unanime une nouvelle délibération doit être organisée : même si rien n’oblige l’administration à modifier le texte, le fait pour elle de parvenir à unir tous les élus sur un vote unanime défavorable, voire deux votes unanimes défavorables successifs, est un aveu de mépris du dialogue social. Cet article permet de mettre ce mépris en évidence et de travailler à la convergence des syndicats de l’établissement sur des points forts de refus de la politique de l’administration.

Si la loi LRU-Fioraso est revenue sur le mode de scrutin et a un tout petit peu augmenté le nombre de membres du CA passant d’un maximum de 30 à un maximum de 36 (il comprend 8 à 16 EC dont la moitié PU, 4 ou 6 BIATOSS, 4 ou 6 étudiants et 8 personnalités extérieures), sur le fond elle n’a rien changé : elle ne revient pas sur l’essentiel, pire elle l’a aggravé avec l’élection du président par l’ensemble des membres du CA y compris les personnalités extérieures. Aussi, le nouveau Conseil académique qui regroupe les anciens CS (Conseil scientifique) et CEVU (Conseil des études et de la vie universitaire), devenus des commissions de ce conseil, reste exclu de l’élection du président. Surtout, la véritable innovation de la loi Fioraso, en termes de gouvernance, c’est l’arrivée parmi les membres extérieurs du CA d’un représentant de la région, accompagné d’un changement du rôle des personnalités extérieures puisqu’elles acquièrent le droit de vote pour l’élection du président. Cela correspond au versant régionalisation (voir fiche 3).

1.1.2. Statuts dérogatoires au droit commun, PRES et fondations

La LRU-Pécresse a libéré les présidents : elle paraissait même timide à certains en matière de liberté managériale. On vit surgir un engouement, encouragé par le ministère, pour le statut de Grand établissement, qui permet de s’affranchir davantage des prétendues pesanteurs de la collégialité. Toutes les raisons étaient bonnes pour justifier ce passage à un statut dérogatoire : on entendit aussi bien, au CNESER, des présidents plaider que leur établissement était résolument trop grand pour pouvoir être géré par trois conseils (Lorraine, séance du 30 mai 2011) ou vraiment trop petit pour permettre à ses personnels de se répartir en trois conseils (Nîmes, séance du 19 septembre 2011). C’est une des rares satisfactions de la loi LRU-Fioraso que d’avoir mis un frein à cette dérive. Mais il faut la tempérer, car les établissements qui ont obtenu le statut dérogatoire lors de cette dernière décennie ont pu le conserver.

Mais le recours à ce statut n’était pas, loin s’en faut, le seul moyen de contourner les instances universitaires. Ce sont les regroupements qui offraient de nouvelles possibilités aux équipes présidentielles : l’organisation des PRES entre plusieurs établissements permettait de développer de nouvelles instances le plus détachées possible des conseils des universités partenaires et donnant le moins possible de représentation aux personnels de celles-ci, avec plus ou moins de liberté des statuts juridiques envisagés pour permettre de doter un PRES de la personnalité morale. Dans ce contexte, celui de la Fondation de coopération scientifique (FCS) pouvait s’avérer encore plus favorable que celui de grand établissement pour permettre aux élites de s’affranchir du contrôle de la communauté universitaire.

La « gouvernance » des sites universitaires est bouleversée par la loi LRU-Fioraso. Trois types de regroupements sont prévus : la fusion d’établissements (pour ne donner plus qu’une seule université avec une seule personnalité morale), la communauté d’universités et d’établissements qui se substitue automatiquement aux PRES (la communauté est un EPSCP, comme le sont les universités, avec son propre CA, son propre Conseil académique et un conseil des membres) et l’association. Un contrat de site unique est conclu entre le ministère et la communauté ou l’association qui regroupe les établissements d’ESR d’un site donné. Ainsi, nous pouvons imaginer facilement le mille-feuilles qui sera installé dans nos campus. Les communautés d’universités et d’établissements, si elles sont dotées de conseils similaires à ceux des établissements, font émerger une structure resserrée par rapport à la somme des conseils initiaux et offrent la possibilité de développer des projets qui s’affranchissent des structures membres, en développant diplômes et équipes de recherche au niveau de la communauté pour mieux laisser mourir les branches appartenant aux établissements fondateurs. On retrouve à ce niveau le même type d’outil de prédation que celui que les PRES offraient dans le cadre de la loi Pécresse.

La présidentialisation et la gouvernance par projet qui étaient au cœur de la LRU-Pécresse perdurent donc à travers la loi-LRU Fioraso. Elles sont l’opium des présidents, le piège dans lequel ils se sont précipités sans avoir toujours compris que ces nouvelles libertés seraient surtout celles de devoir prendre eux-mêmes les décisions difficiles.

1.1.3. Les RCE (et la question budgétaire)

Depuis 2009, date de la mise en place de la loi LRU-Pécresse, les universités françaises sont passées en 3 vagues successives à une autonomie budgétaire totale en 2012 (RCE). Résultat : la masse salariale et la gestion des personnels sont transférées aux universités. Comme la Cour des Comptes l’a souligné dans son rapport du 27 juin 2013, le passage aux RCE « permet d’envisager de faire participer les opérateurs de la MIRES [voir fiche 2] à la maîtrise de la masse salariale et d’envisager une stabilisation des emplois à leur niveau actuel ». La Cour des Comptes, toute à sa logique d’efficacité comptable, exprime ici le bénéfice qu’elle voit dans le passage à l’autonomie, dont les RCE ont constitué la deuxième étape : décharger l’État du rôle d’être seul à devoir assurer la maîtrise de la masse salariale des établissements, et, mieux encore, parvenir à geler dans le temps le niveau d’emploi afin qu’il reste très exactement au niveau où il était, pour chaque établissement, au jour du passage à l’autonomie de gestion. En effet, l’autonomie signifie que l’État accorde aux établissements dont il continue à fournir la masse salariale une enveloppe correspondant aux nombres d’emplois qui étaient ceux de l’établissement avant son passage à l’autonomie – ce que l’on appelle son plafond d’emplois. Ce plafond n’intégrant pas l’évolution mécanique de la masse salariale en raison de l’ancienneté et des promotions (le glissement vieillesse-technicité, GVT), dont la charge est désormais confiée à l’établissement, les établissements sont placés eux-mêmes devant la nécessité de ne pas reconduire tous ces emplois ou de refuser des promotions, à moins de s’ouvrir la voie à de nouvelles ressources. L’autonomie signifie concrètement la nécessité de trouver d’autres ressources que celles de l’État pour maintenir l’existant, et a fortiori pour développer de nouvelles actions.

Les difficultés budgétaires que connaissent actuellement de nombreux établissements sont principalement dues à la non attribution par l’État des budgets à la hauteur des besoins de la masse salariale et le fait que le GVT n’est pas assuré. Par ailleurs, la répartition des crédits d’État se fait au moyen du Système de répartition des moyens à l’activité et à la performance (SYMPA) en fonction de critères de performance qui sont fortement critiqués. En réalité, le modèle SYMPA ne prend en compte que des critères de type « valeur ajoutée » en licence, nombre de diplômés en master.

Au total, aujourd’hui, beaucoup d’universités ont du mal à payer les salaires du personnel, d’autres établissements sont en déficit et n’ont plus les moyens de recruter tandis que certains laboratoires scientifiques n’ont plus les moyens de fonctionner. Le gel de postes de fonctionnaires – consistant à ne pas pourvoir les postes vacants – pour payer les salaires devient la norme, alors que le besoin en enseignants et personnels ne cesse de croître ! Mais, on voit aussi apparaître des universités qui envisagent de recruter des enseignants contractuels sur dix mois pour assurer un service d’enseignement d’un volume largement supérieur à celui des enseignants-chercheurs et sans aucun lien avec la recherche. Ainsi se développe aussi chez les enseignants une main d’œuvre non titulaire, précaire et plus rentable financièrement, qui est coupée des pratiques de recherche.

De nombreux rapports ont dressé un constat alarmant de la situation budgétaire et financière des universités dont la mission d’éducation est mise à mal depuis la mise en place de la loi LRU et le passage aux RCE.

Le résultat est là : les établissements sont amenés eux-mêmes à prendre les décisions difficiles. Les universités laissées ainsi à elles-mêmes ne pourront survivre qu’en détruisant leurs offres de formation ou en trouvant des ressources nouvelles. Les études qui ont inspiré la loi LRU-Fioraso, celles des « thinks tanks » à la mode comme Terra Nova, sont formelles : l’Université française ne s’en sortira pas sans une augmentation plus générale des droits d’inscription. Ce qui engagerait par là-même les universités sur le chemin de la sélection. Le piège se referme ainsi.

Pour gagner de nouveaux droits

Nos revendications :

Abrogation des lois LRU-Pécresse et LRU-Fioraso, avec notamment pour conséquence :

  • la réétatisation et le retour à une gestion nationale de la masse salariale,
  • la fin de la gestion des carrières des personnels par les établissements.

La FERC Sup CGT met en débat

Face à la dérive gestionnaire et financière que connaissent les services publics et nos établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche aujourd’hui, on pourrait se demander de quelles manières l’instance qui, dans l’Université, porte la voix des personnels et les exigences propres aux missions du service public d’enseignement et de recherche, ne soit pas soumise à la logique gestionnaire d’une supposée efficience financière.

La FERC Sup CGT se propose de réfléchir durant le prochain mandat aux conditions d’une reconstruction de la démocratie universitaire conquise après 1968.


Référence électronique

"1.1. La loi LRU et la loi Fioraso dans les établissements", publié le 2 novembre 2014, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article43, consulté en ligne le 15 mars 2024


Article précédent - Article suivant

FERC-Sup CGT