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novembre 2014

2.2. Conséquences de la loi LRU-Fioraso sur l’offre de formation

Pour comprendre

En donnant une année aux Pôles de recherche et d’enseignement supérieur pour se transformer en Communautés d’universités et d’établissements, la loi LRU-Fioraso force la recomposition du système universitaire national autour d’une trentaine d’établissements centrés sur les régions ou les métropoles.

Parallèlement à l’élaboration de la loi et aux assises organisées par son ministère, la ministre a utilisé les procédures de discussion des contrats quinquennaux pour hâter et imposer les processus de fusion ou d’association des universités. C’est ainsi qu’à la suite de Strasbourg dont l’université a fusionné depuis plusieurs années, plusieurs établissements nouveaux ont vu le jour : université d’Aix- Marseille, université de Lorraine, université de Bordeaux. Tandis que d’autres, tout en feignant de retarder les échéances, sous la pression des personnels et de leurs organisations, sont résolument engagées dans le même type de processus de rapprochement-fusion : Toulouse, Montpellier, Grenoble, Rennes, Bourgogne et Franche-Comté, etc.

Ce mouvement vers la concentration des établissements est doublé de la simplification des intitulés de Licence et de Master. Le prétexte annoncé serait la simplification de l’offre de formation pour qu’elle soit plus lisible pour les candidats aux études supérieures et leurs familles qui ne s’y retrouveraient plus. L’objectif visé consiste à créer un socle national de l’offre de formation compatible avec d’une part le passage de la procédure d’habilitation des formations à la procédure d’accréditation des établissements pour une offre de formation donnée pour la durée d’un contrat (l’accréditation de l’établissement « emportant » l’habilitation des diplômes, c’est-à-dire l’autorisation administrative de les délivrer). L’objectif de cette nouvelle procédure est que l’offre de formation d’un même établissement ne soit plus examinée par différents « guichets » à différents moments (les Licences et les Masters par le ministère, les diplômes d’ingénieurs par la CTI, les doctorats par l’ED, etc.), mais globalement. Dans le cas d’une communauté d’universités ou d’une association de divers établissements à une université ou à une communauté d’universités, un contrat unique permettra de voir d’un coup d’œil l’ensemble de l’offre, depuis les IUT jusqu’aux doctorats en passant par la santé. Les établissements devront « assumer » leur « autonomie » en proposant une offre globalement cohérente aux yeux du ministère – et donc en remodelant au préalable leur offre, sous le contrôle des régions désormais présentes dans les CA, pour échapper au risque de se voir restreindre la liste de diplômes nationaux que leur accréditation les habilitera à délivrer. La « rationalisation » de l’offre dans une région donnée, outre un levier d’économies, sera certainement l’occasion de peaufiner la concurrence entre régions et entre établissements en se différenciant sur le marché de la formation supérieure.

La loi LRU-Fioraso va donc avoir des conséquences auxquelles les personnels vont devoir faire face dans les années à venir :

  • les regroupements territoriaux des établissements vont conduire les directions de Communautés d’universités et d’établissements à s’interroger sur l’offre de formation générale et à revisiter cette offre pour faire la chasse aux formations jugées redondantes, peu rentables, faiblement porteuses au plan local et pour imaginer les optimisations et les mutualisations possibles. Les établissements fusionnés, comme l’université de Strasbourg (comme en a témoigné son président au CNESER du 26 février 2013), sont déjà engagés dans des refontes transdisciplinaires par l’intermédiaire des « collegiums », permettant de mutualiser les formations entre disciplines différentes. Des outils mis en place au niveau des PRES, comme par exemple en Bourgogne-Franche Comté, permettent de mesurer la charge d’heures d’enseignement, sous la forme d’une cartographie en termes d’heures réalisées, par composantes, par formations, etc..
  • par opportunisme économique et pour satisfaire des demandes locales et accompagner le développement des industries locales, les directions de ces communautés ne vont pas résister au processus de spécialisation des établissements et de l’offre de formation, elles disposeront également d’un levier pour orienter le contenu de la formation,
  • cette spécialisation sera probablement encouragée et pré-définie par le schéma national d’ESR prévu par la loi et la volonté du gouvernement de mieux mettre à profit les budgets européens. Dans ce cadre, comme pour l’injonction au regroupement, la négociation des contrats quinquennaux sera très certainement l’occasion de pressions fortes sur les directions de communautés pour engager, poursuivre ou renforcer ce processus de spécialisation,
  • la recherche de nouveaux financements, devant se substituer aux financements récurrents que l’État n’apportera plus, aura également un impact non négligeable sur l’offre de formation, la création de chaires d’« excellence » soutenue par l’industrie et le capital local ou international lorsqu’il s’agira de formations dont les enjeux dépasseront le strict cadre local,
  • cette financiarisation de l’ESR ne sera pas sans effet sur la gestion des établissements en matière de recrutement et de gestion des personnels de toutes catégories et le recours massif aux personnels précaires ou dont le service dû sera le plus important,
  • le rapport nombre d’inscrits / coût de la formation s’imposera rapidement dans les modes d’administration des établissements : des disciplines et des formations seront menacées. Ce type de problèmes s’est d’ores et déjà manifesté dans plusieurs établissements, par exemple à Paris 1,
  • les disciplines ou formations dites à faible effectif feront l’objet d’un traitement national soit par regroupement géographique soit par la mise en place d’outils d’enseignement et de travail à distance,
  • incités par le comportement de leurs directions, les équipes pédagogiques, les personnels auront les yeux rivés sur le maintien ou non de leurs formations. La qualité des formations en général s’en trouvera affectée. La notion de rentabilité et la recherche du résultat va envahir les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche.

« L’autonomie » conférée aux établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche par la loi LRU-Pécresse, confirmée et renforcée par la loi LRU-Fioraso crée des conditions nouvelles en matière d’organisation de l’offre de formation et de gestion des flux étudiants :

  • le passage de l’habilitation simple des diplômes (diplôme par diplôme) à l’accréditation globale de l’offre de formation d’un établissement (« emportant » l’habilitation d’une liste de diplômes, c’est-à-dire l’autorisation administrative de les délivrer) va donner la possibilité à l’établissement de gérer un portefeuille de formation au gré des opportunités locales, nationales ou internationales, des partenariats qui seront conclus avec d’autres établissements et des partenaires institutionnels ou industriels, de l’état du marché de la formation dans un domaine particulier, des priorités données à tel ou tel domaine scientifique ou technique dans l’établissement , des opportunités commerciales de valorisation des résultats de la Recherche, etc. Ces habilitations courant sur la durée d’un contrat, l’offre de formation sera donc fluctuante et variable selon les périodes. La « cohérence » globale fluctuante d’un contrat à l’autre, voire même pendant la durée d’un même contrat, primera sur la stabilité de l’offre, et donc sa lisibilité. Ces nouvelles dispositions présentées comme devant rendre l’offre de formation plus lisible, à la fois pour les étudiants et pour les entreprises susceptibles de les embaucher après leur formation, vont finalement aboutir à l’effet inverse ;
  • disposant désormais d’une accréditation pour une offre de formation qui s’appuiera sur un socle national minimum commun dont les intitulés ont été singulièrement resserrés, les établissements vont pouvoir mettre en œuvre tous les outils à leur disposition pour se différencier sur le marché de la formation supérieure. Ils pourront ainsi utiliser le supplément au diplôme, l’inscription au RNCP et la couche des « compétences » comportementales imposées par le patronat pour forger des diplômes d’établissements qui auront progressivement une valeur différente suivant les établissements. Cette valeur l’emportera très vite auprès des employeurs par rapport au socle national de base. C’est la casse des diplômes nationaux, des qualifications et des grilles nationales qui sont visée par le patronat, et les gouvernements à leur service : le cadre national est réaffirmé, mais il permet en réalité une grande différenciation dans les modalités d’application ;
  • la prétendue « autonomie » étant surveillée de près par le ministère au travers notamment de l’évaluation des établissements et leurs résultats, notamment en matière d’insertion des étudiants pour l’attribution des moyens, les établissements vont avoir tendance à sélectionner les étudiants soit à l’entrée, soit au cours de leurs études dans l’établissement. Le dispositif Admission Post-Bac pour les bacheliers, et les dispositifs de réorientation au cours de la première année de Licence vont leur permettre de gérer directement les flux d’étudiants, à la fois le flux entrant mais aussi la sélection des étudiants qu’ils jugeront aptes à pouvoir poursuivre des études supérieures en Master notamment ;
  • cette gestion des flux pour faire face à la massification des études supérieures va être un facteur de développement des formations universitaires courtes (formations professionnelles et recours à l’alternance en Licence) ;
  • l’objectif du ministère, face à une situation d’échec considérable des bacheliers pros et technologiques dans le supérieur, est de faire de la licence professionnelle (qui est une L3) un débouché des deux premières années de licence générale. Des parcours différenciés vont apparaître qui déboucheront les uns vers une L3 générale destinée à préparer le Master, les autres vers une LP. L’effet immédiat sera la disjonction de plus en plus accusée entre enseignement et recherche au niveau Licence et l’amplification du processus de secondarisation que nous condamnons. Dans le même temps c’est à un appauvrissement des contenus disciplinaires qui va s’imposer pour que ces filières courtes (Bac + 3), destinées à une entrée rapide dans la vie professionnelle, restent viables en milieu universitaire. L’apprentissage comme moyen de formation a toujours été mal considéré par la FERC-Sup CGT, comme incompatible avec l’adossement à la recherche. La structure des entreprises de haute technologie a maintenant bien évolué, il est temps de reconsidérer cette approche. De plus en plus de PME évoluent dans des secteurs de pointe en biologie, en informatique, en électronique etc., les besoins de formation professionnelle sont de plus en plus prégnants (comme de formation continue). D’autre part, de plus en plus de jeunes gens sont en recherche d’emplois à forte « employabilité » et sont d’autre part rebutés par la formation académique. L’apprentissage peut être une opportunité pour une frange non négligeable des étudiants (voir la réussite des formations CESI avec parfois nos enseignants). Le secteur privé a investi très fortement la formation continue et l’apprentissage, c’est une « pompe à fric » qui fonctionne en partie avec leurs cotisations mais également avec de l’argent public ; nous devons revendiquer que ces fonds reviennent au secteur public et pour cela mettre en place ces formations. Le statut de nos enseignants chercheurs sera un plus, l’ouverture au monde de la plus haute technologie, la valeur pédagogique seront l’atout principal à mettre en avant. Seulement 5% de la formation continue est publique, c’est tout à fait anormal. La FERC Sup CGT doit œuvrer pour corriger cette proportion.

Pour gagner de nouveaux droits

L’égalité d’accès et de moyens de tou-te-s les étudiant-e-s au service public d’Enseignement supérieur et de Recherche doit être fondée sur des dotations budgétaires qui garantissent la pérennité des établissements à faibles effectifs – notamment dans les territoires en voie de désertification – par une dotation minimale de fonctionnement des coûts d’une part et qui, au-delà de cette dotation, garantisse une capacité financière par étudiant strictement identique entre les différents types d’établissements d’autre part.

En particulier, la dotation budgétaire par étudiant-e doit être identique entre les universités publiques et les autres écoles publiques, quelles que soient leurs anciennetés historiques, réputations de prestige et classements internationaux.

Il est utile de rappeler ici les principes laïques et républicains qui s’opposent au financement des établissements scolaires privés par les fonds publics et que nous faisons nôtres : « fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée ».
Enfin, la qualité du service public d’Enseignement supérieur impose d’articuler étroitement l’enseignement et la recherche en (ré)intégrant les budgets de la Recherche – notamment ceux des PRES, ANR, Equipex, Labex... – dans la dotation des universités et des organismes de recherche publics au prorata du nombre d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, selon des ratios propres à chaque discipline scientifique et pédagogique.

L’Enseignement supérieur étant adossé à la Recherche et devant impérativement le demeurer pour assurer aux étudiant-e-s la qualité du service pédagogique qui leur est dû à ce niveau d’étude, le recrutement d’enseignants-chercheurs doit être privilégié et sa proportion minimale imposée dans les procédures d’habilitation de tous les diplômes depuis la première année de Licence jusqu’à la dernière de Doctorat.

Les disciplines scientifiques à faibles effectifs ont toute leur place dans l’histoire des sciences et la progression des connaissances humaines. Elles sont souvent indispensables aux autres disciplines et à la société toute entière. Elles doivent être protégées et soutenues pour que leur attractivité auprès de la jeunesse soit renforcée. Cela nécessite des règles dérogatoires vis-à-vis des contraintes managériales susceptibles de les faire disparaître tant de l’offre de formation que des laboratoires.

La FERC Sup CGT met en débat

Suivant le principe d’adossement de l’enseignement à la recherche, et réciproquement le débouché pédagogique de la recherche, la FERC Sup CGT défend l’idée que lorsqu’on enseigne dans un établissement d’Enseignement supérieur et de Recherche, on doit être enseignant-chercheur. C’est à ce titre que la FERC Sup CGT s’est opposée à l’affectation et au recrutement d’enseignants du second degré (PRAG, PRCE et PLP) dans le supérieur lorsque le ministère s’est engagé dans cette voie pour des raisons d’économie budgétaire.

Aujourd’hui la question du statut des personnels d’enseignement se pose doublement :

  • la secondarisation du premier cycle de Licence, promue officiellement au nom de la « continuité entre le lycée et les premières années de licence », mais réalisée principalement pour des raisons d’optimisation budgétaire (le service d’enseignement dû par un enseignant du second degré est le double de celui dû par un MCF ou un PU), l’université va connaître un afflux important d’enseignants du second degré,
  • l’association toujours plus étroite des organismes de recherche aux universités et la proximité sur les campus des UMR vont amener le gouvernement à pousser de plus en plus les chercheurs à faire de l’enseignement, donnant lieu au départ au versement de primes incitatives ou au versement d’heures complémentaires, pour probablement leur imposer à terme un service d’enseignement statutaire donc non rémunéré.

Compte tenu de ces évolutions prévisibles, la FERC Sup CGT décide d’engager la réflexion tout au long du prochain mandat pour faire vivre cette revendication – un enseignant à l’Université est un enseignant-chercheur ou doit avoir la possibilité de le devenir – et l’articuler avec les préoccupations des enseignants du secondaire détachés à l’Université.

Ce débat doit être l’occasion de revisiter notre revendication d’un corps unique des enseignants-chercheurs, pour la confirmer et la développer ou pour la transformer et l’adapter aux conditions nouvelles de l’ESR.

Ce travail de réflexion devra donner lieu à des échanges et à des réflexions communes avec les camarades des autres organisations de la Fédération concernées par la question (SNTRS CGT, CGT INRA et CGT Éduc’action).


Référence électronique

"2.2. Conséquences de la loi LRU-Fioraso sur l’offre de formation", publié le 3 novembre 2014, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article48, consulté en ligne le 15 mars 2024


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