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novembre 2014

2.1. Les enjeux de la loi LRU-Fioraso

Pour comprendre

Pour légitimer sa loi, Geneviève Fioraso a mis en avant la nécessité du transfert de technologie et de la réussite pour tous en licence, sorte de redite de la réforme de la licence engagée par Valérie Pécresse et mise en œuvre par son successeur Laurent Wauquiez.

Mais les orientations de la loi LRU-Fioraso ne vont pas dans le sens de la démocratisation des études supérieures :

  • la politique « d’excellence » reste. Le commissariat général aux investissements demeure et les filières d’exception telles que les IDEX, LABEX et EQUIPEX n’ont pas été supprimées, au contraire, elles sont confirmées et poussées à se développer,
  • les filières sélectives sont associées plus fortement à l’Université à travers une convention de coopération désormais obligatoire entre chaque classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) et une université. Les étudiants qui s’inscrivent dans une CPGE doivent aussi s’inscrire dans l’université partenaire et s’acquitter des droits d’inscription. Cela construit un nouvel ensemble à plusieurs vitesses, où se développeront des passerelles vers les voies d’excellence et vers des parcours de relégation, par exemple de la licence générale vers la licence professionnelle. Une sélection interne et débridée peut s’instaurer,
  • on va ainsi pouvoir constater une disjonction chaque jour un peu plus forte entre le niveau licence (L) et le niveau Master (M). Le niveau L tendra à assurer le traitement de la massification de l’Enseignement supérieur par le biais notamment de la professionnalisation des études supérieures se traduisant par l’orientation massive des étudiants vers des filières courtes alors que les meilleurs, une minorité des étudiants, seront sélectionnés pour avoir le droit de postuler au niveau M et d’accéder à la recherche,
  • le système sera régulé par les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche au moyen du dispositif de tri / sélection « Admission PostBac » (APB) où les CPGE et les grandes écoles seront toujours privilégiées. Sous couvert d’orientation, APB remettra en cause de plus en plus fortement le droit de chaque bachelier à pouvoir s’inscrire dans la formation de son choix. Nous avons désormais l’exemple d’établissements où, faute de moyens, les candidats à une inscription dans une discipline à l’Université sont tirés au sort,
  • la concentration des établissements va constituer des unités d’Enseignement et de Recherche hors d’échelle où les relations entre étudiants, enseignants et personnels BIATOSS seront de plus en plus distantes, complexes et insatisfaisantes. Cette concentration rendra encore plus difficile la réussite de tous,
  • la « spécialisation progressive » des études en Licence, conjuguée à un afflux massif d’enseignants du second degré, ou d’enseignants contractuels, sans obligation de recherche au niveau L, va mettre fin à l’adossement de l’Enseignement du supérieur à la Recherche et dégrader la qualité des cours. Cela conduira les étudiants de Licence à avoir de moins en moins de contacts, voire pas du tout, avec la Recherche. On notera que dans le projet de cadre national des formations donné aux organisations syndicales en septembre, le terme Recherche a disparu de la définition de la Licence,
  • la gestion financière au plus près de la masse salariale et de leur plafond d’emplois par les directions d’établissements va provoquer à la fois un resserrement de l’offre de formation des universités et leur spécialisation territoriale pour répondre aux souhaits et orientations politiques des financeurs et administrateurs locaux,
  • tout ceci va avoir pour effets majeurs un éloignement des formations supérieures du lieu de résidence des étudiants et la raréfaction de ces formations dans le maillage territorial du système d’Enseignement supérieur et de Recherche décentralisé. Cela se traduira par un renchérissement de l’accès aux études supérieures et à sa financiarisation.

La loi LRU-Fioraso, la nouvelle organisation de l’ESR qu’elle met en place, la nouvelle mission de transfert des résultats de la Recherche à la société, la recherche obsessionnelle de l’innovation pour la croissance de l’économie du pays sont inspirées par une conception utilitariste de l’ESR qui est nocive pour la production et pour la transmission des savoirs. De plus l’utilitarisme s’étend à la manière dont les usagers (les étudiants et leurs familles) conçoivent les études supérieures (un futur professionnel offrant rémunérations et positions sociales de meilleur niveau) et considèrent que ces enjeux personnels puissent mériter d’avoir recours à l’emprunt. Ainsi, l’Enseignement supérieur n’est plus considéré comme un investissement du pays pour sa jeunesse mais comme un jeu d’opportunités locales et internationales pour l’innovation industrielle ; et les études supérieures prennent désormais valeur d’investissement, au sens plein et entier du terme, pour l’individu, en terme de carrière et de profit personnel hors de tout objectif de progression du potentiel de connaissances de l’Humanité.

Or, l’Enseignement supérieur et la Recherche entretiennent un rapport indéfectible avec la société. L’une envers l’autre et réciproquement. Si l’État se désengage et abandonne l’ESR aux régions ou aux métropoles, l’équilibre est rompu et l’ESR ne peut plus remplir son rôle au sein de la société. Les régions peuvent afficher une volonté d’investissement mais elles ne peuvent le faire qu’à leur échelle, avec des moyens financiers très limités, issus d’une fiscalité locale socialement injuste parce que faiblement progressive, sans aucun dispositif national de péréquation entre régions riches et régions pauvres et sans pouvoir législatif ou réglementaire pour accompagner par le droit une gouvernance qui se fera par l’argent.

Dans ce contexte de territorialisation-régionalisation de l’ESR, le principe d’égalité d’accès et de moyens de tou-te-s les étudiant-e-s dans tous les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche nécessite d’examiner le maillage du territoire dans les politiques publiques de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La désertification des territoires en services publics augmente les tensions politiques nationales et augmente également les coûts masqués pour le pays de la concentration urbaine dans la capitale et dans quelques métropoles régionales en cours d’extension. Pour comparaison, la situation allemande, souvent citée en exemple par les managers français, se caractérise par une répartition territoriale des services publics considérablement plus homogène qu’en France : la France ne dispose en effet ni d’un système de péréquation financière de type fédéral permettant de lutter contre l’appauvrissement de certaines régions ni d’institutions régionales permettant de lutter contre l’appauvrissement de certaines localités dans chaque région. En l’état du système institutionnel français, seules des structures nationales d’Enseignement supérieur et de Recherche permettront d’éviter la désertification des territoires et d’assurer l’égalité d’accès aux Services publics. Et seules des structures nationales peuvent prendre en charge la totalité des disciplines et spécialités scientifiques et pédagogiques, nombreuses et variées, pour le plus grand bien du pays.

Pour gagner de nouveaux droits

Depuis plus d’un siècle, la CGT a œuvré pour l’allongement tendanciel de la durée des études dans la population toute entière. Ceci a impliqué historiquement l’augmentation des effectifs d’abord dans les écoles primaires, puis dans les collèges, puis dans les lycées et aujourd’hui dans les universités. La massification de la formation universitaire constitue un progrès de même que le recul progressif de l’âge de sélection dans les entrées et sorties des systèmes de formation qui consacre l’augmentation générale du niveau des connaissances et manifeste l’élévation du niveau culturel de la population.

De ce point de vue, la réussite des étudiants issus de classes populaires, notamment celles et ceux issus des filières technologiques et professionnelles des collèges et lycées, constitue un enjeu primordial de réforme pour la politique éducative tant des cycles secondaires que des cycles supérieurs. L’augmentation des effectifs en Instituts Universitaires de Technologie ne suffira pas à faire face aux enjeux contemporains de massification de l’Enseignement supérieur consécutive à l’élévation du taux de réussite au baccalauréat et à l’objectif d’amener 50% d’une classe d’âge à un diplôme du supérieur. Cette réussite doit être obtenue par un effort d’encadrement de ces étudiants, dans des groupes pédagogiques plus restreints et par un nombre d’heures hebdomadaires plus important. Ceci nécessite soit de créer une ou plusieurs années post-baccalauréat pour tous en lycées (sur le modèle des classes préparatoires actuellement réservées aux seules élites sociales et scolaires) soit d’augmenter considérablement le nombre d’enseignants-chercheurs dans les premières années universitaires.

  • Un principe : accès pour toutes et tous à l’université dans la formation de son choix, quelle que soit son origine sociale et géographique, avec pour seule condition d’entrée le bac (ou équivalent), premier grade universitaire, seul critère donnant droit à l’inscription du titulaire à l’université de son choix.
  • La production et la diffusion des savoirs sont les deux missions principales et fondamentales des établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche.
  • Pour tous les étudiants et tous les personnels, tout particulièrement les enseignants, l’Enseignement supérieur se nourrit de la Recherche et réciproquement.
  • L’Université forme à la recherche et par la Recherche.
  • L’Université n’a pas vocation à prendre en charge l’adaptation des étudiants à leur premier poste de travail mais aux méthodes scientifiques et techniques ainsi qu’à la culture générale qui leur permettront, en tant que salariés et citoyens, de suivre l’évolution des modes de production tout au long de leur vie professionnelle. À ce titre, la professionnalisation des formations supérieures ne doit pas affaiblir les contenus et savoirs disciplinaires, ni rompre les liens avec la recherche. Le patronat doit assumer et prendre à sa charge la phase d’adaptation au poste qui relève de sa seule et entière responsabilité.
  • Si les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche ne peuvent pas s’exonérer de penser leurs formations en fonction des objectifs d’insertion de leurs étudiants, les universités ne sont pas responsables de l’insertion professionnelle de la jeunesse qu’elles forment et ne peuvent se substituer aux services publics spécialisés de l’État, tels que Pôle Emploi. C’est le patronat qui porte la responsabilité du non-emploi de la jeunesse et du chômage. Rien ne peut l’en exonérer.
  • Les diplômes délivrés par les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche doivent être nationaux et garantis par un schéma national du service public d’Enseignement supérieur et de Recherche. C’est une condition nécessaire pour que restent possibles un cadre national de références à la classification des salariés et la construction de garanties collectives protégeant contre les ambitions dérégulatrices du patronat.
  • La gestion des personnels de ce service public national doit être nationale, les personnels doivent être sous statuts de fonctionnaire d’État et les libertés académiques ainsi que l’indépendance de l’Enseignement et de la Recherche universitaires doivent être garanties par l’État.

La FERC Sup CGT met en débat

Dans les années à venir, les lycées et les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche vont devoir s’engager mutuellement à travers des conventions de partenariat. Cela va se traduire par un renforcement du lien entre le lycée et l’Université qui est présenté comme une solution à la dualité du système éducatif français. L’émergence du projet Bac-3 / Bac + 3 visant à assurer la continuité entre le lycée et la Licence (une nouvelle version des collèges universitaires), va induire des effets pervers qui vont renforcer les filières d’exception permettant d’éviter tout ou partie de la Licence. Ces filières qui seront sans aucun doute très sélectives et élitistes iront à l’encontre d’un accès libre et gratuit à un Enseignement supérieur de haut niveau pour tous.

La FERC Sup CGT doit suivre de très près les conséquences des premières mesures de coopération mises en œuvre dans les établissements où elle est présente afin d’en tirer à terme un bilan qui permettra de construire des revendications relatives aux conditions du rapprochement lycées /universités et aux spécificités de la dualité universités / grandes écoles du système éducatif de notre pays.


Référence électronique

"2.1. Les enjeux de la loi LRU-Fioraso", publié le 3 novembre 2014, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article47, consulté en ligne le 15 mars 2024


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