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novembre 2014

1. La société capitaliste en crise

1.1. Privatisation et crise

Depuis plusieurs décennies, les crises financières se sont succédées et se sont largement développées au niveau mondial. Dans la dernière période, cela a conduit l’Union européenne (UE) à mettre en place une politique d’austérité généralisée. Depuis Maastricht en 1992 et son diktat imposant que les déficits publics soient inférieurs à 3% du PIB et la création de la Banque Centrale Européenne hors de contrôle du pouvoir politique, les gouvernements successifs avaient déjà réduit drastiquement les dépenses publiques, notamment les plus socialement utiles, au nombre desquelles les emplois et les salaires des fonctionnaires. Avec le Pacte de stabilité Sarkozy-Hollande en 2012 et la ratification du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) c’est cette « règle d’or » qui est imposée et l’indépendance des États en matière de politique financière et de budget qui est visée.

À présent, la politique de la dette, tristement connue en Afrique, en Asie et en Amérique latine, s’applique en Europe : en échange de prêts à des taux exorbitants, la troïka (FMI, UE et Banque (mondiale) exige la destruction massive des emplois, la liquidation de secteurs industriels entiers et l’ouverture à la concurrence de Services publics. De plus, l’étranglement financier des Services publics provoque leur désorganisation et leur perte d’efficacité. Ce qui permet de mieux justifier leur privatisation ou leur destruction.

Tout ceci a servi de prétexte à des réductions brutales du nombre de fonctionnaires (chez nous avec la LOLF, la RGPP ou la MAP) ou à leur licenciement comme en Grèce ou au Portugal.

Depuis 30 ans, sous l’impulsion du FMI, de la Banque mondiale, de l’Union européenne, de l’OMC, de l’OCDE, une vague continue de privatisations, de déréglementations et d’ouvertures à la concurrence a modifié en profondeur l’économie mondiale et les rapports sociaux dans les différents pays. Le capital a ainsi cherché, et souvent obtenu malgré les résistances des populations, de nouveaux marchés, des règles plus souples d’exploitation et l’abaissement du coût du travail, source de nouveaux profits ou du maintien de ses dividendes. Le tout permettant de faire perdurer les systèmes économiques et sociaux en place. En France, la liste des privatisations partielles ou totales réalisées depuis trente ans donne le tournis : patrimoine immobilier, banques (Paribas, Société Générale, CCF, CIC, Crédit Lyonnais, etc.), industries et énergie (EDF, GDF, Saint-Gobain, Elf-Aquitaine, Total, Usinor, Thomson, Renault, etc.), transports et télécommunications (France Télécom, La Poste, Air France, Autoroutes, SNCM, Aéroports de Paris, etc.). Aucun secteur n’est épargné. Ce sont tour à tour toutes les entreprises nationales ou les Services publics, pour une large part nationalisés à la Libération, qui sont démantelés et vendus pour le plus grand profit d’une infime minorité, au détriment des salariés et des usagers.

Malgré cela, aux yeux du capital, ces privatisations restent toujours insuffisantes. Les entreprises encore publiques (SNCF par exemple) ou partiellement publiques (EDF, La Poste, etc.) sont visées, et des pans encore largement indépendants de la sphère spéculative comme l’enseignement, la santé publique (hôpitaux notamment), la culture, la protection sociale et les retraites (Sécurité Sociale) sont régulièrement menacés. Ces secteurs représentent des milliards auxquels la spéculation n’a pas ou peu accès. Ce qui est inacceptable pour le capital, avide de profits et de nouveaux débouchés pour satisfaire ses besoins de croissance, qui exige qu’ils entrent sans tarder dans la sphère marchande au nom d’une sacro-sainte « concurrence libre et non faussée ». On peut craindre sérieusement que la sphère publique se réduise, à terme, aux missions « régaliennes » au sens strict (police, armée, impôts, justice). Mais, même dans cette hypothèse, le capital est capable d’imaginer des solutions qui lui transfèrent encore des pans entiers de l’activité. En effet, certains n’hésitent pas à penser que les prisons, le recouvrement, ainsi que des portions de la police et des armées puissent être privatisés.
D’ores et déjà, pour la construction des infrastructures immobilières (par exemple pour les prisons, mais aussi pour l’ESR), le système des Partenariats Public-Privé (PPP) rend possible ce transfert vers le privé de secteurs entiers de l’activité publique.

Nous sommes ainsi confrontés à un vaste mouvement qui s’attaque, à travers toutes les sphères de la société, à toute forme de contrôle collectif et citoyen sur les biens, les richesses, les ressources et les connaissances, ainsi qu’à toutes les garanties collectives patiemment élaborées contre les différents risques qui se présentent tout au long de la vie ; tout cela accroît l’isolement des individus et des citoyens.

1.2. La régionalisation : un objectif et un moyen pour le capitalisme.

La politique de régionalisation, initiée dès les débuts de l’Union européenne, a pour effet de faire éclater le cadre national dans lequel ont été obtenues de hautes luttes les conquêtes ouvrières. Elle permet de briser les solidarités nationales et de casser les garanties collectives dans le but d’isoler les salariés et les citoyens qui se trouvent ainsi démunis face aux appétits voraces du capitalisme.

1.2.1. Diplômes et qualifications

Dans les statuts de la Fonction publique et dans les Conventions collectives, les grilles de qualifications ont été construites sur la base des diplômes nationaux délivrés par l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur. Ces grilles fondent la garantie individuelle pour chaque salarié d’être reconnu dans sa qualification propre. De plus, elles constituent une garantie collective pour les salariés, assurant qu’à même qualification ou même diplôme, ils doivent être positionnés sur la grille et rémunérés à la même hauteur.

Ces principes sont violemment et assidûment combattus par un patronat avide de faire pression sur les « coûts » salariaux et on sait combien il est difficile de maintenir les règles de reconnaissance des qualifications dans les conventions collectives ou les statuts, contre l’arsenal patronal des critères fonctionnels et de performance individuelle. Dans notre secteur, ce sont la Prime de Fonction et de Résultat (PFR) et la Prime d’Excellence Scientifique (PES) qui jouent ce rôle en individualisant les rémunérations et en les liant à la fonction et à la performance individuelle et non plus à la qualification de chacun mise en œuvre dans le travail. D’une manière générale, c’est la politique générale et généralisée des primes qui a cassé le plus sûrement le principe fondateur d’égalité de traitement et mis en concurrence les salariés

Dans l’Enseignement supérieur, le caractère national des diplômes a fait l’objet d’attaques successives qui visent l’objectif précédemment décrit. Le Processus de Bologne initié en 1999 a imposé le passage au système du LMD (Licence, Master, Doctorat) et de ses crédits (ECTS) qui individualise les parcours des étudiants au prétexte de favoriser leur mobilité dans l’Espace européen de l’Enseignement supérieur créé en 2010. Aujourd’hui, c’est le passage de la procédure d’habilitation des diplômes à celle de l’accréditation des établissements pour une offre de formation globale donnée, qui crée les conditions d’une dérégulation supplémentaire. En effet, cette offre de formation des établissements s’appuie sur un Cadre national des formations supposé unifier l’offre de formation nationale, alors qu’elle donne la possibilité aux établissements de se différencier sur le marché de la formation érigé en secteur de développement privilégié pour l’Europe par la Stratégie de Lisbonne (2000).

Cette politique délibérée de dérégulation conduisant à la « dénationalisation » des diplômes, du LMD à la loi LRU-Fioraso, nous fait craindre une aggravation sans précédent de la situation : la disparition de toute référence collective ou nationale, pour que les classifications des salariés se fassent désormais au cas par cas, sur la base des compétences comme le réclame le patronat, dans une relation par nature inégale entre employeur et salarié.

1.2.2. Désengagement de l’État et prise en main régionale

D’une manière générale, la décentralisation permet à l’État de ventiler sa politique d’austérité vers tous les opérateurs à tous les niveaux institutionnels. Le mécanisme, bien rôdé sur d’autres secteurs (social, culture, environnement, formation, etc.), consiste à faire prendre en charge cette politique d’austérité en transférant les compétences de l’État vers les acteurs locaux sans leur transférer la totalité des moyens correspondant au coût réel de production d’un Service public. En se désengageant, l’État reporte la responsabilité politique de l’austérité sur les différents opérateurs locaux et ouvre la voie à l’externalisation ou à la privatisation de ses Services publics.

En matière de gestion des emplois et de la masse salariale, les compétences de l’État ont été transférées vers les universités depuis 6 ans. Dans le même temps les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche ont acquis leur « autonomie » et sont donc divisés et concurrents. La politique d’« excellence » a mis à mal certains sites régionaux qui se sont vus refuser des crédits supplémentaires auxquels ils aspiraient. Les établissements universitaires fragilisés, certains mis financièrement en difficultés, sont à la recherche de nouveaux partenariats. Les pouvoirs politiques et économiques locaux se montrent particulièrement intéressés par le système universitaire qui devient une cible.

Les Régions qui disposent de nouvelles compétences, notamment en matière de gestion des fonds européens, font savoir qu’elles sont attentives et soucieuses des enjeux et qu’elles sont susceptibles de mobiliser des moyens financiers importants.
C’est ainsi qu’entre l’État qui organise son désengagement financier, les régions, les métropoles et l’Union européenne qui s’affirment, et les entreprises qui veulent bénéficier au moindre coût des retombées de la Recherche, les politiques de formation et de recherche des établissements sont de plus en plus réorientées vers les besoins immédiats locaux en lien avec les politiques industrielles locales et les bassins d’emploi afférents.

Les schémas régionaux (SRESRI) rendus obligatoires par la loi LRU-Fioraso, associés à la nouvelle mission de transfert des résultats de la recherche vers le monde économique, confirment très concrètement le sens de la réforme engagée par le gouvernement Hollande-Ayrault. Le pouvoir national renforce l’autonomie de chaque établissement, mais dans le cadre de schémas régionaux édictés par les décisions politiques de l’Union européenne à Bruxelles.

La spécialisation des régions dans les domaines de l’Enseignement supérieur et de la Recherche va s’aggraver avec la régionalisation inscrite dans la logique de la loi LRU-Fioraso. Ceci se fera au détriment des étudiants qui, pour suivre les formations de leur choix, devront déménager dans les grands centres universitaires. Cela se fera au détriment des universitaires qui verront leurs recherches financées ou pas, selon les choix stratégiques et les capacités budgétaires de la région dont ils relèvent.

1.2.3. Démantèlement du Service public

Cette politique de transfert de l’austérité vers les pouvoirs locaux a pour conséquence de mettre en œuvre un processus de démantèlement des Services publics. Mis en difficultés et étranglés par le manque de moyens correspondant à leur mission, les Services publics se désorganisent et ont de plus en plus de mal à faire face à leurs différentes obligations.

La déstructuration territoriale des Services publics nationaux s’accompagne d’une différenciation du service selon les territoires, selon leurs priorités, leurs ressources et leurs moyens. Dans notre secteur, c’est la spécialisation territoriale des établissements, de leur offre de formation et l’assujettissement de leur politique de Recherche aux besoins locaux qui est à l’œuvre. C’est le principe d’un égal accès pour tous sur tout le territoire qui est bafoué et on ne peut qu’être très inquiets de constater que désormais le tirage au sort des candidats puisse constituer pour certains un moyen légitime d’accès à l’université pour les nouveaux bacheliers.

Mais, jusqu’à présent, toutes les actions de régionalisation se sont accompagnées de transferts de personnels (cf. l’acte « Raffarin » avec les personnels TOS de l’Éducation nationale, les personnels du CNDP et les personnels ouvriers du ministère de l’Équipement) et au détriment de ces derniers. Le statut des personnels de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est particulièrement menacé dans le cadre ouvert par la loi LRU-Fioraso, les Régions ne manifestant pas d’hostilité à priori pour un éventuel transfert des personnels BIATOSS et ITA.

On remarquera à ce sujet que dans sa déclaration en juillet 2012 l’Association des Régions de France (ARF) ne fait à aucun moment allusion à la gestion des personnels BIATOSS des universités et ITA des organismes de Recherche lorsqu’elle évoque le rôle de « stratège » de l’État en matière d’Enseignement supérieur et de Recherche : « Sur le plan de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’État conserve la maîtrise du cadrage national des diplômes et des formations initiales de l’enseignement supérieur, de la formation et de la gestion des enseignants, de la péréquation et de la cohésion territoriale pour l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur, de la prospective et des stratégies nationales scientifique et technologique, ainsi que la tutelle et le financement des organismes nationaux de recherche et des établissements d’enseignement supérieur » (extrait du communiqué de presse de l’ARF du 4 juillet 2012).


Référence électronique

"1. La société capitaliste en crise", publié le 2 novembre 2014, URL : http://www.resistances.net/spip.php?article38, consulté en ligne le 15 mars 2024


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